Les Capulet et les Montaigu : déchirante cruauté à l’Opéra de Liège
Les décors réalisés par le metteur en scène Allex Aguilera placent le spectateur dans une cour d’une très vieille demeure, deux hauts murs médiévaux encadrant le plateau, tandis qu’une grande boîte tournante et légèrement inclinée occupe l’espace. Outre quelques mouvements scéniques, cette boîte permet de comprendre aisément si l’action se déroule en extérieur ou en intérieur. Ce sombre décor est animé par les lumières de Luis Perdiguero et les projections vidéo d’Arnaud Pottier, en touches d’effets comme des reflets de lumière sur de l’eau ou avec quelques vidéos pour amplifier – sans trop appuyer – des actions hors scène.
Les costumes signés Françoise Raybaud invitent quant à eux à s’imaginer au XIXe siècle, sans doute à l’époque de la création de l’œuvre lyrique en 1830, où les styles restent relativement flous entre l’ancien régime périclitant et l’ère industrielle naissante. La musique de Bellini étant par elle-même assez explicite quant à la dimension de conflits entre deux clans, le metteur en scène a visiblement décidé de la laisser s’exprimer par la voix de chanteurs limitant leurs déplacements, se tournant toujours vers le spectateur pour projeter leur voix. D’où quelques tableaux tout à fait saisissants, comme le dernier lorsque le corps de Juliette est encerclé du chœur d’hommes, inexpressifs voire lugubres (tandis que d’autres tableaux semblent un rien trop statique, lors des duos particulièrement).
Giulietta est interprétée par Rosa Feola avec une expressivité des plus touchantes. Sa voix lumineuse et finement nuancée offre de mémorables moments de déploration, jusqu’au déchirement par ses phrasés et ses aigus brillants.
Romeo est chanté par la mezzo-soprano Raffaella Lupinacci. Son interprétation fait d’abord entendre une voix moins timbrée et moins présente, voire plus incertaine avec des phrasés manquant de finesse lors du premier acte. Elle parvient néanmoins à proposer un timbre aux aigus éclatants et des graves appuyés et savoureux. Malgré une courte mesure de décalage avec la fosse, elle offre une intense interprétation en duo avec Tebaldo.
Ce vaillant Tebaldo est incarné par Maxim Mironov dont la clarté et la légèreté de timbre offrent des élans de bravoure très appréciés pour leur brillance (surtout dans les aigus). Sa projection vocale contraste avec son manque de mouvement scénique.
Capellio est interprété par Roberto Lorenzi qui manque d'abord étonnamment de présence dans des graves comme éteints, mais sait ensuite bien asseoir sa voix sombre.
Le conseiller de Capellio et complice des jeunes amants, Lorenzo bénéficie quant à lui de la voix noble et pleine d'Adolfo Corrado, à la présence vocale et scénique pleine de profondeur et toujours très compréhensible.
Le Chœur de l'Opéra Royal de Wallonie-Liège préparé par Denis Segond affirme ses pages saisissantes de belle tenue, avec des intentions d’homogénéité et de nuances patentes. Sous la direction souple et attentive de Maurizio Benini, l’Orchestre maison fait entendre d’intéressantes propositions de contrastes et de nuances, souvent vives avec de très appréciables solos des vents, en particulier de la clarinette.
Quelques spectateurs laissent couler une larme lors de la scène finale : à la différence de la pièce de Shakespeare, les deux amants ont le temps d’exprimer leur angoisse terrible face à la fatalité de leur destin. La condamnation unanime de la cruauté de Capellio, seule coupable de cette injuste tragédie, marque la fin de l’œuvre avec une émotion déchirante. Les bravi fusent alors du public liégeois, admiratif des prouesses vocales et de cette œuvre encore trop rare.