Asmik Grigorian triomphe de nouveau en Madame Butterfly, depuis le Met
La mise en scène d’Anthony Minghella avait déjà fait l’objet d’une retransmission live il y a cinq ans, et n’a pas perdu de son intérêt et de son efficacité. L’épure du décor (de simples panneaux shoji dessinent l’espace scénique) centre l’attention sur les interactions. Sur les panneaux de fond de scène, nimbés tantôt de bleu, tantôt de rouge, se découpent les silhouettes des personnages gravissant la colline avant de lentement descendre vers la maison des jeunes époux. La proposition est simple mais animée, notamment grâce aux mains de plusieurs marionnettistes, vêtus de noir, qui portent lanternes ou oiseaux de papier, dans une forme poétique et tout en maîtrise. L’originalité de cette production réside aussi dans le choix d’utiliser une marionnette pour figurer l’enfant de Butterfly. Choix intéressant à observer sur grand écran, pour apprécier le travail et l’engagement des trois personnes manipulant la marionnette, qui animent le petit corps avec justesse et émotion, comme le trahissent les expressions de leurs visages, comme s’ils ressentaient les affects de l’enfant. Bien sûr, l’effet est différent d’avec un enfant en chair et en os, tout empreint de son innocence naturelle, mais l’émotion émerge au contact des chanteurs, qui jouent pleinement le jeu.
En début d’opéra, le Goro de Tony Stevenson, acide à souhait, manque toutefois d’un brin d’expressivité et de souplesse pour s’imposer, malgré ses qualités de ténor de caractère. À ses côtés, Jonathan Tetelman est un Pinkerton jeune et fringant, vocalement solide, mettant les nuances au second plan au premier acte, à l’image d’un personnage assuré, vantant plus les mérites américains que son mariage japonais. Quand son aveuglement se dissipe à la toute fin de l’opéra, les remords se ressentent dans la voix, plus proche du cœur, le timbre lumineux mis en valeur et "Addio, fiorito asil" sonne juste. L'aigu y est tenu avec maîtrise, comme un cri de désespoir.
Le Sharpless de Lucas Meachem l’aura pourtant mis en garde à plusieurs reprises du sérieux de la situation, et l’interprète, à l’image du rôle, convoque dignité et désarroi, avec justesse. Le timbre est riche, la voix vibre avec aisance dans tous les registres et la diction, soignée, enrichit son interprétation de nuances d’humanité.
Du côté des seconds rôles, le prince Yamadori de Jeongcheol Cha frime un peu sous son grand costume, mais est en place techniquement. Le bonze, incarné par Robert Pomakov s’impose d’une voix profonde et bien projetée du fond de la scène, tandis que la Kate Pinkerton de Briana Hunter, bien plus discrète, s’acquitte de sa courte intervention avec pudeur et subtilité.
Elizabeth DeShong, déjà titulaire du rôle de Suzuki lors de la précédente retransmission il y a cinq ans, réaffirme toutes ses qualités de chanteuse et d’interprète. Elle va puiser des accents dramatiques dans une riche voix de poitrine dont le passage est très maîtrisé, et le parcours de son personnage, en parallèle du destin tragique de sa maîtresse est tout aussi bouleversant.
Enfin, Asmik Grigorian incarne une Butterfly à l’image de sa précédente incarnation londonienne, animée d’une profondeur particulière. À l’entracte, question est posée à l’interprète de savoir comment celle-ci prépare ses rôles. Elle répond puiser les émotions de ses personnages dans les siennes et ne pas « jouer à », mais plutôt être à travers le personnage. Force est de constater que cette méthode porte ses fruits tant l’interprétation est habitée d’une force qui va crescendo jusqu’à imploser à l’acte final, les émotions jusque là contenues dans l’attente du retour émergeant en larmes discrètes sur les joues de l’interprète tout au long de l’acte (petit détail sans doute invisible en salle, le grand écran réservant aux spectateurs quelques belles images). Vocalement, l’instrument semble imperturbable, et la soprano réserve aux acmés égrenant la partition toute la puissance de ses aigus, portés par un souffle immense. Les graves sont également au rendez-vous et contribuent à camper un personnage plus sombre que dans la plupart des interprétations. La chanteuse reçoit une standing-ovation spontanée et sonore de la part du public new-yorkais, ainsi que quelques applaudissements surgissant également dans la salle de cinéma.
Dans la fosse, la cheffe Xian Zhang habille et supporte le drame avec allant. L’orchestre maison déploie de belles couleurs, en particulier chez les cordes. Le chœur, très en place également, aborde un chœur à bouche fermée dans un tempo plutôt rapide, ce qui ne l’empêche pas d’y développer toute l’émotion requise.
L’ensemble de la distribution est plus que chaleureusement saluée par le public américain, chanteurs comme marionnettistes. Il faudra attendre la rentrée pour retrouver la nouvelle saison d’opéras en direct du Metropolitan Opera, qui s'annonce très prometteuse.