Michael Spyres sur la piste de Richard Wagner
Dans le texte de présentation du disque, Michael Spyres explicite avec pertinence et conviction la démarche qui se trouve à l’origine de cette nouvelle publication. Il analyse son propre cheminement vers l’œuvre de Richard Wagner (il vient d’aborder Lohengrin à l’Opéra National du Rhin avant de débuter cet été à Bayreuth dans le rôle de Siegmund de La Walkyrie) et les influences (conscientes ou inconscientes, voire reniées) du compositeur germanique. « Cet album se propose justement de braquer la lumière sur ces compositeurs auxquels Wagner fait de l’ombre, ceux qui bâtirent les fondements de son esthétique et conçurent la charpente de l’écriture vocale du ténor wagnérien », résume-t’il ainsi. De fait, l’intérêt majeur du présent disque réside dans cette approche concordante et la chronologie du répertoire ainsi étudié (menant jusqu'à Wagner). Il s’empare ainsi d'un catalogue remontant au Joseph (1807) de Méhul qu’il aborde avec un phrasé raffiné et sculpté, dans un art de la déclamation totalement maîtrisé. L'Air d'entrée de Florestan (extrait du Fidelio de Beethoven) affirme et confirme son engagement émotionnel exact et un profond respect de cette musique constamment saisissante. Le technicien hors pair se révèle dans l’air de Leicester d’Elisabetta, regina d’Inghilterra de Rossini ou l’air d’Heinrich de la très rare Agnes von Hohenstaufen de Gaspare Spontini dans sa version allemande originale avec cette descente surprenante dans le grave. L’ensemble du programme transporte ainsi l’auditeur de la musique vocale de Weber (Der Freischütz), Giacomo Meyerbeer (Il crociato in Egitto), à celle d’Auber avec La Muette de Portici et l’air enivrant de Masaniello "Spectacle affreux" (ouvrage abordé par Michael Spyres sur la scène de l’Opéra Comique en 2012), et jusqu’à Vincenzo Bellini avec Norma qu’il interprète avec le concours du jeune ténor plus que prometteur Julien Henric. Après l'Air de Konrad tiré de l’opéra Hans Heiling d’Heinrich Marschner -une autre rareté-, Michael Spyres aborde Wagner pour les trois dernières plages du disque avec l’air d’Arindal (Les Fées, premier ouvrage lyrique finalisé par Wagner), puis la si redoutable prière de Rienzi qu’il emporte vers les cimes.
Michael Spyres se revendique avec ferveur comme baryténor depuis plusieurs années. L’itinéraire qu’il propose ici souligne ainsi une nouvelle fois cet engagement et vient compléter les publications les plus récentes du ténor. Sans avoir perdu de sa souplesse et ses possibilités infinies dans le raffinement, l’allégement du son ou le recours à la voix mixte, Michael Spyres déploie des moyens effectivement un peu plus sombres, plus opulents désormais, toujours fascinants par leur étendue et leur projection. Il convient de souligner de surcroît la netteté de la prononciation sur la totalité du programme, fruit assurément d’un travail assidu et constant.
Le jeune chœur de paris intervient avec justesse et l'application de leurs talents pour Il crociato in Egitto et Norma. À la tête des Talens Lyriques (qui jouent sur instruments d’époque même pour Wagner), Christophe Rousset passionné par le projet se glisse avec délectation dans les propositions du ténor, conférant à sa direction une ardeur constante et un soutien de chaque instant. L’entente modèle entre le chef et le ténor alliée à l’intérêt spécifique du programme constituent les fondamentaux de ce disque paru chez Erato, qui se révèle aussi fascinant qu'incontournable. Il propose par ailleurs un habillage sous coffret très soigné orné d’un portrait photographique pétillant d’intelligence et de sensibilité de Michael Spyres.
Le présent récital ne pouvait se conclure qu’avec Lohengrin et le célèbre air d’adieu Mein lieber Schwan, interprétation déchirante d'émotion mais d’une justesse absolue : un chant du cygne qui annonce en même temps qu'un point d'orgue, bien de nouveaux départs