Duels d'Opéras aux Invalides
Les concerts s’inscrivant dans le cycle musical Duels du Musée de l’Armée se poursuivent avec assiduité au fil de cette saison 2023/2024 (retrouvez notre série dédiée d'Airs du Jour). L’opéra, avec ses rebondissements, ses intrigues multiples, ses duels et ses trahisons, sur fond, la plupart du temps, d’une histoire d’amour contrariée, se devait d’être représenté. Le programme élaboré par les artistes du soir se veut ambitieux et large. Sa durée-même (deux heures continues de musique sans pause ni entracte) reflète cette volonté et plus encore le bonheur d’interpréter un répertoire lyrique presque exclusivement en français.
Même si le Grand Salon des Invalides se prête plus aisément à l’art la mélodie ou de la musique de chambre, il parvient à mettre en valeur les voix d’opéra malgré toutefois, à certains moments, un sentiment de saturation. Il est vrai que les trois artistes lyriques ici réunis possèdent indéniablement des voix faites pour la scène et ses dimensions.
D’une aisance scénique et vocale constante et coutumière, Jérôme Boutillier prend les choses en mains et commente avec beaucoup d'à propos et d’humour chaque ouvrage, airs ou duos, ainsi que les personnages qui interviennent sur l’estrade du Grand Salon. Des extraits des Pêcheurs de perles ouvrent le bal où les voix du ténor Valentin Thill et du baryton Jérôme Boutillier se conjuguent avec passion et détermination. Ces mêmes qualités se révèlent dans les extraits de Don Carlos qu’ils enlèvent tous deux avec une sorte de rage qui n’affecte certes pas la précision et la compréhension de ces deux personnages historiques singuliers. L’auditeur se trouve bien ici au sein du Grand Opéra à la française avec ses larges déploiements et l’expression de sentiments vigoureux.
Jérôme Boutillier passe, au chant, du russe au français composé par un italien, à celui lorgnant vers l'Espagne avec une sureté irrévocable, un legato ardemment maitrisé, une longueur de souffle lui permettant les grandes envolées lyriques et une fièvre permanente (plus canalisée désormais). L’aigu se déploie avec aisance et assurance, tandis que chaque incarnation fait preuve d’une maturité travaillée.
Valentin Thill donne aussi bien la réplique à ses deux camarades qu'il déploie seul ses passages en mezza voce. Un peu tendu au départ, l’assurance du phrasé vient bientôt le disputer à la projection. Le timbre pourrait certes se parer de couleurs plus diversifiées, mais l'engagement et la volonté de dépasser le bien faire pour atteindre à l’excellence sont manifestes. Il répète actuellement de rôle de Pong dans la Turandot de Puccini qui sera présentée le mois prochain au Théâtre de La Monnaie de Bruxelles sous la baguette de Kazushi Ono, mais des rôles plus importants l’attendent désormais, c’est certain.
La soprano Armelle Khourdoïan (qui se présente au public successivement dans quatre robes longues de couleurs différentes) aborde Leïla et Micaëla qu’elle domine avec facilité et conviction comme sa Traviata brillante, facile dans les vocalises et suffisamment large. Certains aigus pourtant ne sont pas exempts de tension et de dureté, tandis que le personnage en lui-même demeure un peu linéaire dans l’expression des sentiments.
Au piano, Tristan Raës, malgré la richesse du programme, ne relâche à aucun moment son attention, partenaire indispensable et inspiré sur l’ensemble du répertoire présenté.
Faust de Gounod vient conclure le programme de cette soirée lyrique avec l’air de Valentin, les fameux bijoux de Marguerite et la scène finale si prégnante, Jérôme Boutillier s’emparant alors avec un bonheur certain de Méphistophélès. En bis, le Brindisi de La Traviata s’imposait : le Grand Salon des Invalides affichant complet, les bravos et rappels n’ont pas fait défaut aux quatre artistes.
Ils cèdent désormais la place aux prochains "Duels" annoncés, notamment lyriques et sous les voûtes de la Cathédrale Saint-Louis des Invalides : fin mai avec les ténors Emiliano Gonzalez Toro et Zachary Wilder dans des musiques du premier baroque italien avec la complicité de l’Ensemble I Gemelli, puis Claire Lefilliâtre et Marie Perbost avec la Compagnie Lyrique Les Épopées et Stéphane Fuget pour faire renaître le temps d'un soir la figure de deux cantatrices rivales et diablement perfides, Francesca Cuzzoni et Faustina Bordoni (créatrices des grands rôles féminins de Haendel au cours la période londonienne du compositeur).