50 printemps à l'automne romantique pour l’Orchestre du Capitole de Toulouse
C’est tout un symbole pour la continuité de l’Orchestre national du Capitole. Le 1er mai 1974, Michel Plasson dirige l’orchestre dans sa nouvelle forme, à la Halle aux Grains qui était encore à l’époque un palais des sports. Il lance ainsi l’orchestre, anciennement cantonné à l’opéra, dans le répertoire symphonique avec la constitution d’une saison complète dès la rentrée suivante. Cinquante ans et deux jours après, dans les mêmes lieux et au lendemain de l’annonce de la future saison où il occupera un rôle majeur, c’est Tarmo Peltokoski, nommé récemment directeur musical désigné, qui est à la tête de l’orchestre. Du crépuscule à l’aube d’une nouvelle ère il n’y a qu’un pas. C’est ainsi qu’il dirige deux œuvres testamentaires, emblématiques du romantisme finissant, dont les compositeurs respectifs ne verront pas la création de leur vivant : Les Quatre derniers Lieder de Richard Strauss et la Neuvième Symphonie d’Anton Bruckner. En plus de ce programme musical (et des textes de Hesse et de von Eichendorff déjà inclus dans les Lieder), un poème est intercalé avant chacune des deux parties dans le but de fêter l’anniversaire d’une autre fierté toulousaine : l’Académie des Jeux Floraux. Il s’agit d’une académie littéraire initialement dédiée à la langue occitane (mais incluant aujourd’hui le français) qui a la particularité d’être la plus ancienne société savante d’Europe et qui compte entre autres comme lauréats Voltaire, Victor Hugo ou encore Ronsard. Les poèmes de ce jour sont lus par leurs auteurs, tous deux membres de l’académie. Cœurs, comme livres d’amour d’Hélène Dorion est présenté entre l’allocution du maire de la ville sur ces anniversaires et Les Quatre derniers Lieder. Il y aura toujours quelque chose à sauver de Marc Alexandre Oho Bambe est déclamé après l’entracte et avant la symphonie. Il aborde notamment les relations entre la poésie et la guerre.
Chen Reiss se présente au public brillant des sequins de sa robe longue et près du corps. Son chant fait écho au thème poétique de la soirée car il s’attache à la beauté du verbe et à mettre en valeurs les mots. L’articulation marquée des consonnes (du [r] et du [t] en particulier) structure la ligne de chant et contribue au caractère du phrasé. La maîtrise du souffle associée à la souplesse dans la mélodie permet de nuancer chaque vers sur la durée. Elle insère dans sa voix juste ce qu’il faut d’effets pour servir la musique et le texte. Certaines attaques pourraient être plus accentuées et certaines voyelles plus généreuses cependant. L’élégant timbre argent de la soprano manque légèrement de chaleur pour s’adapter à tous les passages et en particulier pour illuminer pleinement le Printemps du premier mouvement. La puissance modérée de la voix ne permet pas de monter le volume. Si l’orchestre s’adapte pour ne jamais la couvrir, cela limite tout de même l’effet de l’œuvre sur l’auditeur.
Tarmo Peltokoski dirige à la baguette avec des gestes souples et légers. Il garde la partition sur le pupitre mais ne la regarde que très ponctuellement, conservant au maximum la connexion avec ses musiciens. Ses mouvements sont clairs et limités au nécessaire. Il permet ainsi d’éviter la dispersion tout en laissant une certaine liberté dans l’expression des instrumentistes. Celle-ci se manifeste en particulier dans les éclatants tutti, fortissimo de la symphonie. Les couleurs et les textures sont dessinées avec finesse. L’ajustage des volumes entre les sections est pertinent et met en valeur certains motifs, dans les cordes de Septembre et du premier mouvement de la symphonie par exemple. L’exécution des solos de violon (Jaewon Kim) et de cor (Eloy Schneegans) manifeste un lyrisme généreux. La profondeur des Lieder est toutefois restreinte par l'exécution vocale mais aussi par la lecture de l’orchestre qui délaisse les aspects dramatiques de l’œuvre, du moins jusqu’au recueillement méditatif où il amène le public au final d'Au crépuscule simplement et délicatement éclairé par les fugaces motifs de flûtes. La symphonie en revanche est interprétée avec une magistrale intensité. Les démarcations structurant les mouvements sont présentes sans être abruptes. Les nuances de volumes exploitent tout le panel décrit de la partition, du pianissimo (sur le passage de cordes et timbales du premier mouvement par exemple) au fortissimo des tonitruants tutti. Les contrastes chers à Bruckner, sont appuyés notamment au deuxième mouvement entre l’opalescence des bois côtoyant la densité brute de l’orchestre. Les moments d’intensifications sont efficaces même si certaines progressions et crescendos pourraient être plus structurés. Un subtil fondu se retrouve souvent dans l’exécution des motifs qui confère de la rondeur à l’ensemble. Des contours plus nets et anguleux permettraient cependant parfois une articulation plus rythmée ou encore de renforcer certains effets comme le clin d’œil aux sonorités de l’orgue (instrument de prédilection du compositeur) dans le premier mouvement. L’interprétation demeure inspirée dans l’ultime mouvement de Bruckner amorcé par une lumière mélancolique puis à la fois dense et contemplative. Tarmo Peltokoski attend d’ailleurs plusieurs secondes avant de baisser sa baguette pour autoriser le public à applaudir, laissant ainsi profiter la salle d’un moment de silence après le bouleversement induit par la musique de Bruckner. Il lève d’ailleurs au cours des applaudissements la partition en hommage au compositeur.
Le public est conquis et fait revenir plusieurs fois le chef qui ne manque pas de faire acclamer les solistes et de serrer la main de plusieurs des musiciens. Il amène enfin personnellement un bouquet de fleurs à un altiste prenant sa retraite. Les autres altistes forment ensuite un cercle autour du futur retraité et lui jouent ensemble pour son départ un extrait de Ce n’est qu’un aurevoir. Le texte d’Hélène Dorion revient ainsi à l'esprit pour conclure tout en revenant à la poésie : « on recherche entre Saturne et Vénus, entre le vide et l’éblouissement, un dieu parfait pour pallier tant d’absence ». Ces vers s’appliqueraient parfaitement à la quête obsessionnelle du mélomane se rendant à une salle de concert et ce soir il n’est pas loin de l’avoir trouvé !