Contes et légendes avec Julie Fuchs et Alphonse Cemin à Strasbourg
C’est à un programme thématique du plus grand raffinement qu’a été convié le public de l’Opéra National du Rhin, entre deux représentations de Guercœur d’Albéric Magnard. Julie Fuchs et Alphonse Cemin y ont en effet concocté une soirée consacrée à divers contes et légendes qui, du Lied allemand et la mélodie française, à la variété et au musical américain, nourrissent et enchantent notre imaginaire musical.
Après trois Lieder d'Hugo Wolf (et avant trois mélodies de Fauré commémorant son centenaire), Julie Fuchs prend la parole pour expliquer le concept de son récital, destiné à faire vivre des histoires et à ouvrir au public les portes du rêve à travers des pièces d’époques et de genres variés. La versatilité et la polyvalence sont pleinement assumées. La chanteuse ne manque pas non plus de rappeler, non sans esprit, que la compositrice Augusta Holmès aura accompli l'exploit de mener une brillante carrière tout en élevant cinq enfants.
Changement d’ambiance pour la partie anglophone du programme. À l’issue de l’extinction des lumières intervenue à la fin du cycle Fauré, l’apparition d’une bougie d’ambiance participe en effet au ton intimiste de cette dernière partie de soirée. C’est ainsi sur les tonalités du mystère, de l’introspection et de la confidence que s’achèvera le concert.
Ce récital révèle d’emblée les couleurs argentines de ce soprano lyrique encore léger, qui a su avec les années conserver tout son cristal avec la fraicheur juvénile du timbre. La chanteuse confirme également le soin porté au texte et la qualité de la diction (avec l'abandon de la partition), confirmant aussi à quel point l’instrument de Julie Fuchs s’est étoffé, notamment dans les passages les plus animés qui font appel à des notes forte émises dans les hauteurs de la voix. Le velours caressant du timbre offre toute la sensualité nécessaire également, d'une consistance plus naturellement voluptueuse. Le public qui s’enhardit à applaudir à l’intérieur des cycles est très vite mis à l’aise, soprano et pianiste, loin de s’en offusquer, déclarant n’en être nullement gênés, allant presque jusqu’à en redemander...
Fête du legato, démonstration de crescendi et decrescendi dont Julie Fuchs semble s’être fait une spécialité, infinis jeux de couleurs sur les moirures argentées du timbre font néanmoins ensuite apparaître quelques signes de fatigue, une attaque hasardeuse annonçant quelques petites fêlures à venir en dernière partie de programme, mais ces incidents quoique récurrents (notamment en fin de phrase quand apparaît un léger manque de soutien) s'avèrent visiblement peu gênants pour une grande partie de l'auditoire.
Julie Fuchs, très à l’aise en meneuse déploie aussi tous les sortilèges de l’argent de son soprano, décomplexé et mordant pour les rythmes chaloupés, presque susurré pour les confidences, avant de finir assise au bord du plateau, instaurant un moment de communion intime qui change du rituel de ces récitals vocaux prévus pour s’achever sur du brillant.
Après un hommage appuyé à la fidélité et au soutien sans faille de plusieurs membres de ses équipes, Julie Fuchs propose au public strasbourgeois trois bis agréablement contrastés : le tango très encanaillé Youkali de Kurt Weill, la chanson Une Petite cantate de Barbara et pour finir un très sensuel "Deh vieni, non tardar", presque hors de propos mais craquant néanmoins avec ces légers portamenti (ports de voix), finalement tout à fait en phase avec la versatilité stylistique de la soirée.
Cette dernière est manifestement un des points communs entre le chant de Julie Fuchs et le jeu pianistique de son compère Alphonse Cemin, partenaire de longue date qui, tout en restant indéfectiblement au service de la voix, parvient lui aussi à trouver sa voix et à proposer des idées musicales parfois audacieuses, notamment dans l’accompagnement des deux extraits de Purcell et de Mozart aux rythmes presque jazzy.
Certaines oreilles baroqueuses rechigneront ainsi peut-être devant l’accompagnement pianistique de One charming night, mais les rythmes devenant jazzy dans cette pièce de Purcell sont parfaitement en phase avec les trois extraits à suivre d'Into the woods de Stephen Sondheim.
Accompagnateur aux petits soins, il a également son solo à lui avec la pièce Ondine de Ravel, jouée avec tout le raffinement et toute la virtuosité requis. Une soirée donnée sans entracte, très chaleureusement applaudie par un public visiblement charmé et conquis.