Au Musée d’Orsay, les œuvres (en)chantent
Le parcours se déploie sur cinq niveaux faisant voyager à travers le Musée d’Orsay. Au milieu des touristes, amateurs d’arts et parisiens, les salles 6, 24, 40 et 59 accueillent quatre pianos à queues, et quatre duos interprétant chacun un programme différent (en résonance avec l'esprit des œuvres du musée, guidés en cela par Thibaut Mihelich et Sarah Hassid), puis ils le donnent à nouveau afin que les visiteurs suivants parcourant les lieux puissent bénéficier de toute la richesse de ces expériences, tandis que les auditeurs d'ici cheminent là et là et encore là-bas.
Dans la salle 6, le duo musical rend hommage aussi bien au poisson qu'aux prisons de Courbet entre Lieder de Schubert et mélodie de Reynaldo Hahn. Joël Terrin ouvre d'un chant léger, presque aérien, avec une articulation rendant chaque mot compréhensible et expressif. Il découvre ensuite des graves ronds et riches, toujours raffinés. Le pianiste Cole Knutson maîtrise l'art de jouer avec légèreté et finesse, mettant en valeur le chanteur notamment dans un espace restreint et résonant où l'équilibre est délicat. Il l'est effectivement par une sensibilité de toucher, une adaptation du rythme et de l'intensité pour compléter les nuances vocales, dans une harmonie fluide.
Les deux Emma (la mezzo-soprano Emma Roberts et la pianiste Emma Cayeux) manquent malheureusement de projection dans leur grande salle de fresques historiques, obligeant l'auditoire à jouer des coudes. La chanteuse paraît alors compréhensible, davantage certes en français, conservant les nuances de son timbre, phrasé et volume sonore. La pianiste allie pour sa part élégance et fluidité, faisant flotter les notes, étirant les phrases avec délicatesse (aussi pour ne pas couvrir la voix).
Le baryton-basse Jeeyoung Lim déploie sa voix puissante et ronde, qui résonne avec chaleur même dans les notes les plus graves de sa tessiture, remplissant aisément le seul espace ouvert de ces représentations (au 2ème étage avec ses deux entrées plus larges et hautes, et ses scènes paysages). Cette capacité est soutenue par une colonne d'air musclée, signe d'une technique vocale solide et maîtrisée.
Gyeongtaek Lee au piano manifeste un enthousiasme évident, s'amusant autant que s'engageant (et l'auditoire avec) dans son interprétation, sans quitter des yeux le chanteur, de Fauré à Britten en passant par Mahler et Schumann (et jusqu'en un hommage hors-programme à leurs racines communes).
Au 5ème niveau, l'auditoire va prend l'air pictural vespéral et marin, ainsi que les airs chantés entre nostalgie et intensité de Duparc, Korngold et Hugo Wolf. La mezzo Iida Antola leur offre sa voix à la profonde chaleur des plus idoines. Son timbre riche et vibrant révèle une grande agilité, lui permettant de naviguer avec aisance à travers l'ambitus, tout en mettant en valeur la brillance naturelle de sa voix. La pianiste Anni Laukkanen se distingue par une liberté d'expression audacieuse dans ses interprétations, notamment à travers l'utilisation judicieuse du rallentando. Cette liberté s'intègre harmonieusement à l'accompagnement de la chanteuse, et renforce l'atmosphère intimiste du concert à l'apparence d'impromptu mais très travaillé.
Ces promenades musicales de printemps sont ainsi autant de succès, pour un public ravi (notamment lorsque surpris par l'événement) de voir ainsi les arts résonner dans un esprit poétique. La musique aura laissé son empreinte, au point que des visiteurs poursuivent leur parcours à travers les salles en chantonnant quelques mélopées dans les couloirs du musée.