Lumières vespérales d'accentus à La Seine Musicale
En cette période où les jours rallongent, par le changement d'heure de ce mois sacré, et encore et toujours jusqu'au solstice d'été, les soirs restent lumineux, longtemps encore. Plus longtemps encore en musique et en cette lumineuse soirée où le soleil caresse la pointe de l'Île Seguin et la sphère de sa Seine Musicale. La lumière rayonne et résonne ainsi, longtemps, au-dehors comme au-dedans de cette salle de concert : elle frappe l'auditoire avant d'entrer, et continue de nourrir son recueillement une fois installé. L'interprétation musicale par le Chœur accentus des Vêpres de Rachmaninov est en effet, pleinement et littéralement, lumineuse. Pourtant, ce nom donné à cette œuvre désigne les prières du soir (d'où l'adjectif "vespérales") et le titre originel de cette pièce est même "Vigiles nocturnes".
Fiat lux, urbi et orbi
En effet et malgré son titre, l'œuvre est des plus lumineuses, dans le Son comme dans le Verbe, enchaînant des épisodes radieux : après "Venez, inclinons-nous", suivent "Bénis le Seigneur", "Béni est l'homme", "Lumière joyeuse", "Maintenant tu laisses aller en paix", "Réjouis toi, Vierge", jusqu'à "Tu t'es relevé du tombeau" et "Ô Reine victorieuse".
Musique, texte, contexte et interprétation s'allient ainsi pour illuminer et enluminer cette soirée. Le Chœur accentus ici en grande formation (par rapport à ses racines chambristes) de 38 voix, conserve nonobstant sa qualité cardinale, celle de la précision et de la synchronisation, de tous les paramètres sonores, tous justement clairs et au service de la clarté de toutes les dimensions du son : prosodie limpide, phrasés délicats et souples, consonnes adoucies et voyelles nourries, brillance et finesse des résonances (même le cuir et le cuivre peuvent luire, musicalement aussi), jusqu'à la qualité et quantité de vibrato également synchronisées (y compris en croissant vers les extrêmes des tessitures, toujours avec mesure et maîtrise).
La clarté de l'interprétation s'appuie et valorise justement cette langue, sacrée et musicale, le mot sacré se prononçant dans ce russe orthodoxe "Allilouïa", le premier "i" donnant ainsi d'emblée une lumière dans laquelle reste le "ou" (sinon naturellement sombre).
Même les pupitres graves le sont naturellement (sans appuyer mais sachant marquer et accentuer en gardant la clarté d'élocution sonore). Les pupitres aigus s'élèvent et élèvent la phalange naturellement, comme attirés par la clarté (seule la fin du concert souffrira d'aigus serrés mais aussi de quelques désynchronisations dans les entrées aux rythmes plus allants, des écarts rapidement résolus toutefois, à mesure que la prestation gagne aussi en tonus). La phalange chorale doit en outre épaissir le son pour traduire la profondeur des forêts slaves et de ce paysage spirituel.
Il faut dire, clairement, que le choix d'interpréter une telle œuvre dans un tel lieu est un choix ambitieux et exigeant. En effet, cette pièce et ce répertoire sont clairement mis en valeur par les longues acoustiques d'édifices religieux, tandis que l'acoustique de cet Auditorium de La Seine Musicale a une résonance minimale, valorisant la qualité et la clarté sonore d'une manière presque chirurgicale (au moins dans ce répertoire).
Au milieu de ces Vêpres, entrecoupant hélas la soirée par deux faux-entractes alors qu'un enchaînement aurait renforcé encore l'immersion entre l'hier et l'aujourd'hui, ce programme propose une création commandée par accentus, le Chœur de la Radio Lettone et Spirito à Sivan Eldar : "The stone, the tree, the well" (pierre, arbre et puits chantés et choisis car ils peuvent faire le bien de l'humanité ou sa torture).
Ce voyage, d'un Orient vers l'autre (du Nord vers le Sud), invite sur scène la soliste Ganavya Doraiswamy (chercheuse et musicienne, née à New York, installée en Californie, élevée en Inde australe). En robe immaculée, elle fait un sort de chaque syllabe, détachée de chaque mot, espacé. Le microphone lui permet de jouer sur l'infinie douceur de sa voix parlée, faite de souffle et de rondeur, ponctuée de quelques gestes cérémoniels esquissés. Des inflexions animent les fins de syllabes de couleurs orientales. Finalement, cet élan la mène à déployer clairement sa technique de chant, toujours soufflé mais aussi souffré, engorgée et résonnante pour appeler à la "Liberation" (passant alors du tamoul à l'anglais).
Pour accompagner cette prestation, le Chœur accentus s'applique clairement à respecter le moindre élément de la partition, ôtant au naturel de cette pièce, mais veillant ainsi à bien prolonger les interventions de la soliste par de longues lignes, vibrantes, tenues, ou fusées dans un grand crescendo de tutti. Cette création résonne même également, littéralement, avec la grande pièce slave du programme, offrant comme une Vêpre de Rachmaninov dont il ne resterait que des contours tournants et seulement les voyelles.
Sous les yeux de Laurence Equilbey (fondatrice et cheffe du Chœur accentus), aux premières loges, le chef de chœur letton invité Sigvards Kļava dirige lui aussi tout en clarté. Ses gestes, même littéralement recueillis (les mains prêtes à demander l'hostie sonore devant lui) se déploient en une grande souplesse, vers des rebonds très tranchés : de quoi conduire à la fois la souplesse du phrasé et la précision du rythme.
Le public applaudit avec reconnaissance et ferveur ce concert en clair-obscur.