Norma sort des normes à l’Opéra de Massy
L’histoire tragique de Norma, couplée à la musique riche et poignante de Vincenzo Bellini en font l’un des plus célèbres opus de l’histoire de la musique. Et pourtant des choix de représentation scénique peuvent encore et toujours chambouler la perception du public.
Est-ce bien Norma(l) ?
En effet, la direction artistique est ici des plus étonnantes, également en regard des costumes (et plus particulièrement ceux des solistes), les tenues de soldats romains et les robes des prêtresses druidiques plongeant directement le public dans cette Gaule sous l’occupation romaine vers l’an 50 avant J.C. À l’inverse, les décors épurés présentent des formes de pylônes ainsi qu’un rocher-menhir, laissant surtout place à l’arrière-plan de la scène où, tout au long de l’opéra, se succèdent des fonds d’écran à l’animation saccadée et qui semblent choisis aléatoirement (tant ils semblent hors sujet par rapport à l’intrigue et à son contexte historique). Les images alternent entre un arbre, des étoiles, la Terre vue de la lune et des éléments plus étonnants comme des gratte-ciels aux façades vitrées, des poutres métalliques rappelant l’ère industrielle ou encore des paysages qui viennent évoquer des films de science-fiction (ces images se veulent peut-être métaphoriques, de l’éternité de la nature -environnementale et humaine- même face à l’évolution de la culture et des technologies, le spectateur n’en reste pas moins contraint à émettre des hypothèses et chercher du sens).
Lorsque Norma est décidée à tuer ses propres enfants, deux bébés géants, dont les modèles 3D semblent inachevés tant ils manquent de détails, apparaissent et flottent entre les poutres métalliques et les immeubles en verre, rendant presque un effet comique dans la salle.
Les solistes expriment alors la théâtralité dans leurs interactions et surtout par la partition et dans leur pleine et entière musicalité. Dans le rôle-titre, Chrystelle di Marco alterne entre douceur et fureur. Sa voix profonde au timbre chaleureux est pleine de tendresse mais lorsque Norma exprime sa rage, elle devient terrifiante avec un jeu dynamique qui lui permet d’occuper pleinement l’espace scénique et un regard perçant qui vient glacer le sang du public. La soprano sait ainsi varier et adapter constamment sa façon de chanter tout en gardant une fluidité qui paraît naturelle pour exprimer à tour de rôle la tendresse, l’amour, la tristesse, le désespoir, la colère et la peur. Elle parvient à moduler sa voix pour transmettre un large éventail d’émotions en exprimant toujours la sincérité de son chant, du début à la fin.
Jean-François Marras installe tout d’abord en Pollione sa puissance vocale, tout en gardant un chant très expressif. Son travail sur le phrasé et l’articulation, allié à sa technique vocale lui permet d’en imposer. Son ton sait aussi se faire léger et menaçant lorsqu’il s’adresse à Adalgisa, en plein contraste avec la tristesse et les regrets qu’il exprime plus tard à Norma.
La soprano bulgare Leonora Ilieva incarne Adalgisa et se distingue de Norma par une voix beaucoup plus douce, avec un phrasé particulièrement fluide. Son ambitus impressionnant, lui permet de chanter dans le grave avec beaucoup d’expressivité dans la voix et d’atteindre des notes aiguës avec une puissance inattendue. Elle sait se montrer touchante quand elle chante son amour envers Pollione avec une voix pleine de tristesse et de regrets. Elle parvient à transmettre les émotions notamment avec la maîtrise du vibrato en fins de phrases. Autant de qualités qui se marient avec les voix de Norma et Pollione lors des duos et trios.
Oroveso est confié à la voix profonde et rassurante de la basse ukrainienne Viacheslav Strelkov qui en impose de prestance avec son épaisse cape de fourrure. Son volume sonore, moins puissant toutefois qu’attendu, lui donne néanmoins un caractère calme et décidé. La délicatesse de son phrasé permet de transmettre au public toute la déception et l’émotion qu’éprouve Oroveso lorsqu’il apprend les fautes de Norma et sa volonté de finir sur le bûcher.
Dans les rôles secondaires, Alberto Munafò qui incarne Flavio, le soldat romain accompagnant Pollione, sait rester en retrait afin de laisser celui-ci pleinement briller sur scène mais parvient tout de même à s’affirmer avec un chant dynamique. La confidente de Norma, Clotilde et sa voix innocente (celle de Maria Cristina Imbrogno) joue sur les contrastes par rapport à la voix du rôle-titre.
Le Coro Lirico Siciliano offre une performance assez inégale, des timbres de voix se détachant nettement de l’ensemble lors du premier acte (en raison d’un écart de dynamisme entre les différents chanteurs). Le résultat se fait plus homogène lors du deuxième acte, et même saisissant lorsque les druides s’avancent et déclarent la guerre au peuple romain.
Tout comme le décor scénique, le “décor orchestral” ne s’accorde pas au chant. L’Orchestre de l’Opéra de Massy propose peu de contrastes et de finesse, en particulier sur les attaques de notes (notamment les cuivres qui se lancent dans des effets de fanfare ne correspondant pas à l’action dramatique). L’Orchestre ne semble pas en lien avec le chef Constantin Rouits et réciproquement, sa direction très théâtrale ne correspondant pas au jeu des musiciens.
Ce chef-d’œuvre et la prestation vocale du plateau savent conquérir une fois encore le public, qui déclenche de vives exclamations d’admiration, à plusieurs reprises au cours de l’œuvre, puis avec force à la fin du spectacle.