L’Impresario de Smyrne à l’Athénée : l’opéra au Théâtre
Laurent Pelly et sa complice Agathe Mélinand présentent une adaptation de L’Impresario de Smyrne, une pièce de théâtre de Carlo Goldoni, initialement écrite sous la forme d’un livret d’opéra, et qui pourrait avoir pour titre : « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ». Un castrat, un ténor, trois sopranes et un librettiste, manipulés par un Comte moqueur, cherchent à se faire embaucher par un riche marchand turc, se proposant de créer un opéra à Smyrne et ayant mandaté un impresario à cette fin. Mais à trop vouloir d’hypothétiques honneurs, ils n’en auront aucun.
L’adaptation proposée ici est globalement joyeuse et piquante, même si l’intrigue peine souvent à avancer : les rivalités persistantes entre chanteuses, les vanités constantes, les négociations infructueuses (multipliées par cinq artistes) charment d’abord mais lassent ensuite. Laurent Pelly applique avec succès au théâtre les recettes qui font son succès à l’opéra, comme ces chorégraphies de groupe souvent vues chez les chœurs et qui ici s’appliquent -avec autant de succès- à la troupe entière, cette poésie comique dans les interactions ou encore la subtilité de sa direction d’acteurs. Le décor est simple et dépouillé : un cadre évoquant à la fois un tableau ou un cadre de scène, penché comme le pont d’un navire, avec une toile en fond de scène pouvant faire référence à une toile comme à une voile. Les costumes (très fins) sont tous noirs, à l’exception du marchant turc, tout de blanc vêtu, un cigare aux lèvres.
Tandis que trois musiciens (clavecin, violon et violoncelle) de l’Ensemble Masques dirigé par Olivier Fortin prennent à leur charge la musique du spectacle, les chanteurs d’opéra ont ici l’occasion de montrer l’étendue de leur talent, rivalisant dans le jeu avec les comédiens tout en ayant l’occasion de déployer leur voix lyrique, certes peu travaillée dans ce contexte où le chant n’est qu’un prétexte. Fidèle de l’univers de Laurent Pelly depuis des décennies, Natalie Dessay (Tognina, "Chanteuse vénitienne") déploie toute une palette technique et des nuances fines dans un rôle sollicitant pleinement son autodérision. Julie Mossay (Annina, Chanteuse bolognaise) expose de beaux aigus et des médiums qui mériteraient plus d’appui. Damien Bigourdan (Pasqualino) démontre une belle projection de sa voix pincée.
Parmi les comédiens, Jeanne Piponnier est une Lucrezia (Chanteuse florentine) minaudant à souhait, Eddy Letexier fait le grand dur dépassé en marchand de Smyrne, Cyril Collet se démène en Comte manipulateur, Thomas Condemine alterne le jeu en voix de tête pour saisir la faconde du castrat Carluccio et en voix posée lorsqu’il se fait narrateur de la mise en abyme prévue par la pièce. Enfin, Antoine Minne se fait transformiste en changeant régulièrement de rôle (le poète difforme Maccario, le valet, le souffleur, un serviteur) tout en caractérisant chacun d’eux avec soin.
Le public accueille la troupe par de longs applaudissements sans effusion, auxquels se joignent Laurent Pelly et son équipe, présents au poulailler.