Elektra embrase le Théâtre des Champs-Elysées
Paris a déjà pu entendre et voir (c'était dans la mise en scène de Robert Carsen) Iréne Theorin incarner le rôle magistral d’Elektra au cours d’une série de représentations de l’ouvrage à l’Opéra Bastille en 2013 sous la baguette de Philippe Jordan. La soixantaine venue, la cantatrice suédoise n’a certes pas renoncé aux rôles les plus périlleux qui constituent son répertoire de base, même si les échos de ses prestations récentes peuvent apparaître désormais discordantes ou susciter quelques vives réactions comme à Bayreuth cet été. Toujours majestueuse et maquillée de façon un rien appuyée comme à son habitude, son entrée en scène ne manque pas d’allure. La voix désormais ne possède plus tout à fait le feu d’autrefois et le médium en premier lieu, sinon le grave même, se sont amenuisés. Sa grande scène d’entrée et son évocation de la figure de son père Agamemnon divinisé, marque des limites certaines et les aigus redoutables sont émis à l’arraché. Mais peu à peu, le matériau vocal se stabilise et s’amplifie, le timbre retrouve de plus justes colorations et l’aigu toujours un peu tiré percute de plus en plus. Le volume pour sa part demeure quasi intact, vaillant voire foudroyant à plusieurs moments centraux. Enfin son incarnation passionnée passe de l’obsession et de la soif de vengeance les plus exaspérées à la tendresse la plus infinie (à la reconnaissance de son frère Oreste). À ce moment précis, la voix se mue en caresses et la féminité fait surface.
Au cours de cette scène clé de l’ouvrage, elle trouve dans le baryton polonais attaché à l’Opéra de Stuttgart, Paweł Konik, un Oreste de son envergure. Cette voix virile, dense et sonore, la jeunesse et la forte présence de cet interprète de haute stature, confèrent au personnage toute sa superbe d’héritier naturel du trône de Mycènes. Simone Schneider dispose pour sa part d’une projection vocale imposante alliée à un timbre très reconnaissable. Les aigus forte sont délivrés avec fierté et aisance. Il manque toutefois à son interprétation cette part de lumière et d’espérance qui doit parer les interprètes du rôle de Chrysothémis. Pour autant, les duos entre ces deux sœurs si opposées s’avèrent ici explosifs !
Dès son entrée en scène, Violeta Urmana impose une Clytemnestre particulièrement bien chantante, racée, là ou d’autres cantatrices exposent leurs ultimes cartouches. Elle exalte toutes les peurs du personnage, ses sournoises interrogations, cette fascination pour toutes les superstitions qui pourraient l’aider à chasser ses cauchemars et ses névroses, plus que les aspects vipérins ou démoniaques habituels. L’impact dramatique se trouve décuplé et ses rires glaçants, jusqu’à ceux de son assassinat, demeurent longtemps en mémoire.
De même, il suffit à Gerhard Siegel de paraître pour que l’Egisthe décadent et aviné qu’il incarne, de cette voix sinueuse aux aigus percutants, prenne forme. Dominée par la surveillante assurée de Catriona Smith, toutes les servantes sont à saluer sans distinction pour leur professionnalisme : Stine Marie Fischer, Ida Ränzlöv, Maria Theresa Ullrich, Clare Tunney et Esther Dierkes. Elles forment un tout indissociable. Les autres petits rôles sont heureusement tenus par des membres du Chœur de l’Opéra de Stuttgart. L’Orchestre est justement celui de cette même maison d’opéra, dont Cornelius Meister est directeur musical depuis 2018. Sa direction précise et irréprochable, son approche lyrique de cet ouvrage plus que posément dramatique, cette mise en valeur de l’ensemble des pupitres, sans pour autant négliger les passages intensifs ou puissamment tragiques, voire telluriques lors de la danse d’Elektra en fin d’ouvrage, font toute la valeur et la saveur de son approche.
Le public du Théâtre des Champs-Élysées d’une attention sans faille durant les près de deux heures du spectacle, réserve un triomphe amplement mérité à cette Elektra.
Un #Elektra d'anthologie avec notamment les phénoménales Iréne Theorin et Violeta Urmana portées par le #staatsorchesterstuttgart direction Cornelius Meister © @JPHRAIBAUD pic.twitter.com/IiRknTN2S9
— Théâtre des Champs-Elysées (@TCEOPERA) 30 avril 2024