L'Olympiade des Olympiades à Nice : l'Opéra sur le Podium
La France accueille cette année les Jeux Olympiques et Nice accueillera sa flamme (le 18 juin), une trop belle occasion pour le Directeur de la maison, Bertrand Rossi, qui a ainsi programmé cet opéra L’Olympiade, sur un livret de Métastase dont l’intrigue se déroule justement pendant les Jeux Olympiques dans la Grèce Antique (l’intrigue mêle compétition sportive et amoureuse, dont les valeurs morales sont mises à mal ou défendues). Pour l'occasion et cet événement, l'intérieur du théâtre a même été entièrement reconfiguré, transformé en un mini-stadium (dans la scénographie de Fabien Teigné) : une piste d'athlétisme avec virage en équerre traverse la salle depuis le parterre jusqu'à la scène.
Cette piste est surmontée d'écrans vidéos retransmettant notamment le parcours d'une flamme olympique à travers la ville, flamme qui finit par arriver bel et bien sur cette scène/piste, pour couronner le spectacle. Ces écrans font aussi des échos tout d’abord à la dimension médiatique de la retransmission des jeux – accompagnés des commentaires journalistiques d’une narratrice-actrice qui restitue en langage d’aujourd’hui les éléments dramatiques dévolus aux récitatifs. D’autres séquences empruntent à des genres graphiques, aux images fixes ou animées : gravure, bande dessinée, dessin animé, etc. (en collaboration avec les étudiants de l’école niçoise e-Artsup pour la création de contenus numériques).
Le public est installé aux premières loges de l’événement, aux balcons, au parterre comme au bord de la piste et aussi sur ce qui est d'habitude la scène (les fauteuils en salle ont exceptionnellement cédé la place à des chaises sur des gradins).
Les deux phalanges instrumentales, l’Ensemble baroque Matheus et l’Orchestre Philharmonique de Nice, en effectif réduit, sont situés à l'intérieur de cet espace scénique reconfiguré et en bout de piste, le point central étant investi par le chef, décathlonien Jean-Christophe Spinosi, à la direction sportive et physique, aux gestes amples traduisant sa forme olympique non sans théâtralité (rappelant que les compétitions sous la Grèce Antique concernaient les sports mais aussi les arts du théâtre). Vêtu d’un survêtement, il anime les foules musiciennes nourri d'une grande flamme, à tous les coins du stade.
Les instruments baroques et modernes se superposent ou se permutent ainsi dans un effet acoustique dont la richesse a tendance à se perdre dans cet espace dépolarisé. Les musiciens donnent généreusement de leur instrument, et rendent grâce à la beauté de certaines pages, dont l’introduction de Vivaldi, pour le rythme, et certains récitatifs accompagnés, pour la couleur.
De nombreux accessoires, à dominante métallique, viennent charger l’espace scénique reconfiguré, qui tous renvoient à des disciplines olympiques, à l'entraînement comme au déroulement : boxe, gymnastique, javelot, marteau, etc.
De nombreux protagonistes surgissent et disparaissent au pas de course ou de charge, selon une action et une disposition qui varie en fonction des numéros clairement délimités des partitions baroques. Tous sont vêtus, chanteurs y compris, de vêtements de sport, bien colorés, qui trahissent plus ou moins la discipline olympique – breakdance en tête à l’occasion de son accession au statut de discipline olympique pour ces JO 2024. Ballet niçois et troupe hip-hop sont réunis – comme les deux orchestres – dans un continuum chorégraphique font du corps humain, mis au travail de la performance sportive, la thématique centrale de l’intrigue. Les protagonistes font à la fois corps collectif et individuel, leur schéma gestuel principal consistant à enrouler les quatre membres du corps humain autour du bassin, du buste et de la tête : chair étirée, recroquevillée, embrassée,... qui parfois entoure tel ou tel chanteur, comme pour amplifier sa vocalité pétrie d’émotion.
Sur le plan de l’intrigue, le livret de Métastase assure un fil conducteur parfois difficile à suivre, tant le regard et l’oreille ont d’endroits où se poser. Les sous-titres permettent de retenir quelques noms de personnage, ainsi que l’état d’âme, affetti souvent douloureux et colériques, parfois tendres et nobles que leur partie est chargée d’exprimer, sous la forme bienvenue de l’aria da capo (air avec reprise). Les livrets de Métastase, riches en péripéties, ont été mis en musiques par des dizaines de compositeurs. Cette Olimpiade n’y fait pas exception, et la bande-sonore de cette représentation pourrait être la base d’un vaste quizz musical, avec pas moins d’une dizaine de compositeurs assemblés, de Vivaldi à Mozart, en passant par Cimarosa et Pergolèse, et bien sûr Caldara (le premier à l’avoir mis en musique).
Le plateau réunit des voix confirmées, qui doivent cependant s’en remettre à une légère sonorisation pour pallier l’absence de dispositif acoustique dédié.
Le Licida du contre-ténor vénézuélien Fernando Escalona électrise la scène de son timbre pailleté, dans la projection comme dans la retenue, tour à tour geyser et fine pluie.
L’autre contre-ténor, le Megacle du français Rémy Brès-Feuillet, offre à son personnage vocal la couleur d’aurore boréale que l’usage virtuose de ses résonateurs lui permet d’obtenir. Il n’hésite pas non plus à gémir sous l’effort physique que la direction d’acteur exige de lui.
L’Aminta de la soprano Marlène Assayag permet réellement d’entrer dans l’opéra. Mal sonorisée au départ, son chant ample, construit, solide et rassurant suscite l’émotion douce, la couleur arc-en-ciel du pardon.
L’Argene de la soprano Ana-Maria Labin est sertie d’une légèreté toute mozartienne qu’elle agrémente – ou désagrémente – de cris de colère, plus que d’effort, dans la recherche conjointe du naturel et de la stylisation propre à l’opera seria.
L’Aristea de la contralto Margherita Maria Sala donne à son personnage sa dimension tragique. L’ambre chaude de son timbre passe de l’extase à la fureur, avec l’aplomb d’une déesse païenne.
Le Clistene de la basse italienne Luigi de Donato se révèle, s’arrondit, se patine avec l’avancée de l’intrigue. Le noyau vocal se densifie tandis que l’hyper-grave résonne de plus en plus, jusqu’au pardon final.
Enfin, l’Alcandro du baryton Gilen Goicoechea impose, dans ce rôle trop bref, une voix à l’arôme de résine, bien chantante et respirante, dont la tessiture grave vient pourtant illuminer la scène.
La sonorisation permet à tous de descendre dans le centre intérieur et secret de leur expression et de produire des da capo à la lisière du silence et du son.
La MC (Maîtresse de Cérémonie) Anaïs Gournay, plutôt commentatrice sportive à la Léon Zitrone que narratrice à l’antique, déclame ses récitatifs de sa table ou au beau milieu de la scène.
Les quelques participations du chœur maison, répartis dans trois étages de galerie, du côté de sa phalange, ajoutent au dispositif leur bel effet de profondeur visuelle sinon acoustique.
Le public, un peu déboussolé en dépit de sa mise en condition, applaudit les artistes, qui défilent en délégation, par catégorie, inscrite sur une pancarte, de l’équipe technique, au chef de chœur, en passant par les porteurs de flamme. Les jeux sont faits.