Bertrand Rossi : « Etonner et surprendre ! »
Bertrand Rossi, vous indiquiez l’an dernier que la situation économique et artistique était aussi ensoleillée que la météo niçoise : est-ce toujours le cas ?
Oui, plutôt. Notre saison n’est pas encore terminée car nous avons encore trois productions à venir. Les budgets qui étaient prévus ont été votés au niveau attendu, c’est-à-dire stable par rapport à l’année précédente. Le public est au rendez-vous et les salles sont pleines que ce soit pour les concerts ou les opéras. Les ballets, à part le dernier qui était plus contemporain et a été plus difficile à remplir, ont très bien fonctionné également. Le public, pourtant réputé conservateur à Nice, nous fait confiance et est au rendez-vous d’une programmation audacieuse, qui comporte des prises de risques. Les spectateurs apprécient ce qu’ils entendent et ce qu’ils voient, ce qui est de bon augure pour les prochaines saisons.
Où en êtes-vous de vos projets de réforme de l’institution ?
Le changement de statut d’une Régie municipale directe en Établissement public administratif n’a pas pu se faire comme prévu au 1er janvier 2024 pour des raisons budgétaires : ce projet très important a été repoussé d’une année mais il n’est pas remis en cause. Cela permettra plus de souplesse, d’agilité et de rapidité : il ne reste d’ailleurs aujourd’hui que très peu de régies municipales parmi les opéras français. Les discussions avec le personnel et les organisations syndicales se sont bien passées. C’était un peu abstrait au début et il a fallu l’expliquer, mais il y a désormais une compréhension de tous.
Concernant les règlements des forces vives artistiques, nous avons pu acter celui du ballet. Les travaux se poursuivent pour l’orchestre et le chœur. C’est en bonne voie, mais cela prend du temps.
J’ai l’appui de mon maire Christian Estrosi pour avancer sur le label d’Opéra National : il a rencontré la Ministre de la Culture Rachida Dati pour faire avancer ce dossier. La période n’est pas idéale car la situation budgétaire de l’État est délicate. Cela ne va donc pas se faire immédiatement, mais les discussions progressent. Je suis optimiste.
La saison prochaine a pour thème : « Libres d’aimer » : quels en sont les grandes lignes de force ?
J’ai voulu une saison vivante, libre et amoureuse. L’amour est la base de tous les opéras, qui soulèvent des préoccupations politiques et sociétales importantes. La revendication de la liberté d’aimer est née pendant la Révolution française, même si elle a ensuite parfois été contestée. Ça a été une étape phare. C’est le siècle des Lumières, notamment avec Rousseau. Tous les ouvrages lyriques de cette saison ont été créés après la Révolution et portent en eux cette revendication d’une liberté amoureuse, de vivre et d’être soi quel qu’en soit le prix. L’opéra mène aujourd’hui plus que jamais ce combat pour la liberté, par la façon dont il se réinvente sans cesse.
Vous ouvrirez votre saison dans le cadre du Festival d’opérette, avec La Fille de Madame Angot de Charles Lecocq et la mise en scène de Richard Brunel, dévoilée en ouverture de cette saison à l’Opéra Comique : qu’en aviez-vous pensé ?
Cette production rentre parfaitement dans notre thématique : l’idée est de vibrer auprès de la jeunesse combative qui est éprise de vérité. C’est une ode à la liberté de chanter et d’aimer. La période du Directoire, durant laquelle l’intrigue se passe, ne représente plus grand-chose aujourd’hui : j’ai bien aimé la transposition opérée à l’époque de mai 68, qui parle beaucoup plus à un public d’aujourd’hui. Le décor extrêmement mouvant de Bruno de Lavenère permet une mise en scène extrêmement dynamique, avec des idées toutes les secondes. Elle allie un côté comique et un côté social très fort. Je l’ai personnellement beaucoup aimée. Cela nous permet par ailleurs de poursuivre notre collaboration avec l’Opéra Comique : ce sera notre troisième coproduction avec eux. Cette production, en effet donnée dans le cadre du festival d’opérette, permet de montrer que l’opérette n’est pas un art du passé, que ce n’est ni kitch ni poussiéreux : il est possible d’en faire un miroir de l’évolution de la société, réhaussé d’une musique extrêmement belle et légère.
Chloé Dufresne, qui est régulièrement sollicitée dans le répertoire léger, dirigera l’œuvre : qu’attendez-vous de sa direction ?
Chloé est déjà venue diriger chez nous pour Le Voyage dans la Lune et avait dirigé notre orchestre à l’Opéra Comique pour la Finale du Concours Voix Nouvelles. Elle aime ce répertoire léger et le répertoire français : il était logique qu’elle porte cet ouvrage.
Comment avez-vous pensé votre distribution ? En particulier : Ange Pitou était chanté par un ténor au TCE, vous privilégiez un baryton. Pourquoi ?
J’aime beaucoup Philippe-Nicolas Martin : j’ai donc proposé à Chloé Dufresne d’utiliser la version pour baryton de ce rôle d’Ange Pitou afin de le lui proposer et de l’avoir chez nous. Elle a jugé que le rôle pouvait en effet parfaitement convenir à cette couleur de voix. Comme à l’Opéra Comique, nous aurons Hélène Guilmette en Clairette : je me suis battu pour qu’elle puisse le faire et j’espérais qu’elle soit libre pour le faire avec nous. C’est une star qui chantera pour la première fois à Nice. Nous retrouverons Valentine Lemercier, une habituée de la scène niçoise pour le rôle de Mademoiselle Lange. Enguerrand de Hys sera Pomponnet. J’ai voulu mettre des chanteurs francophones à l’honneur tout au long de la saison (et pas seulement sur le répertoire français).
Le Festival d’opérette bénéficiera aussi d’un concert le 29 novembre : quel en sera le programme ?
Pour que cela fasse un festival, je programme toujours un concert en plus d’une production. Cette saison, nous avons proposé 200 Motels associé à un concert sur les comédies musicales. La saison prochaine, nous aurons un concert mis en scène sur le thème des Années folles. Il y aura des danseurs et deux chanteurs. Ce sera léger et paillettes, plein d’entrain et de divertissement.
En novembre, vous commémorez le centenaire de la disparition de Puccini avec une nouvelle production d’Edgar : pourquoi avoir choisi cette œuvre ?
Nous avons ouvert cet hommage avec Madame Butterfly qui était le grand tube, et nous montrerons la saison prochaine cet Edgar, le deuxième opéra de Puccini après Le Villi. Je voulais étonner et surprendre. Ce sera une création scénique française de la version de 1889 en quatre actes. Ce sera l’un des évènements de la saison en France. Nous allons nous heurter dans cet ouvrage aux grincements de la société : Edgar se sent étranger dans son monde, voire de lui-même. Il n’a pas les codes pour se sentir intégré dans le lieu où il arrive. Il y a de grands chœurs assez spectaculaires. Je ne comprends pas pourquoi cet ouvrage n’est pas plus joué : c’est un chef-d’œuvre de Puccini, comme l’est d’ailleurs aussi Le Villi. Même si le compositeur lui-même n’était pas totalement satisfait de sa version en quatre actes, je la trouve plus cohérente : dans la version en trois actes, on ne comprend plus bien les relations entre les personnages. En particulier, la rivalité entre Tigrana et Fidelia est beaucoup plus forte dans la version en quatre actes.
Pourquoi avoir choisi Nicola Raab pour la mise en scène ?
Ce sera une nouvelle coproduction prestigieuse avec l’Opéra de Turin et l’Opéra national de Lorraine, dont la première aura lieu à Nice. Nous construirons les décors et l’Opéra de Nancy les costumes. Je connais bien Nicola Raab qui a travaillé à l’Opéra du Rhin à l’époque où j’y étais, sur Rusalka et Francesca da Rimini. J’aime beaucoup son travail : elle est allemande mais n’est pas du tout dans le Regietheater [théâtre où la mise en scène prend le pas sur l'ouvrage, ndlr]. Elle a toujours des idées très profondes et atemporelles.
Giuliano Carella dirigera cet opus : pourquoi l’avoir choisi ?
C’est un grand spécialiste de cette musique. Il avait dirigé Francesca da Rimini à l’Opéra du Rhin avec Nicola Raab : j’ai voulu reformer ce duo qui avait bien fonctionné et était très proche d’Eva Kleinitz [qui dirigeait l’Opéra du Rhin jusqu’à son décès en 2019, et dont Bertrand Rossi était l’adjoint, ndlr]. Au départ, cet opus devait être dirigé par Daniele Callegari qui était alors Chef principal de l’Orchestre. J’avais alors parlé du projet à Carella pendant qu’il préparait La Somnambule : il m’avait confié sa passion pour cette œuvre qu’il connaissait et dont il avait étudié les deux versions, bien qu’il ne l’ait jamais dirigée. Il était déçu que je ne puisse pas le lui confier. Lorsque Daniele Callegari a quitté son poste de Chef principal, j’ai appelé Giuliano qui était, par chance, encore disponible.
Pour quelles raisons Daniele Callegari avait-il quitté son poste ?
Il s’est rendu compte que le calendrier de Nice était incompatible avec tous ses engagements. Cela devenait trop compliqué de tout faire. Mais il reviendra certainement un jour. C’est un chef que j’aime beaucoup et nous avons un rapport d’amitié fort.
Comment avez-vous conçu la distribution ?
Nous aurons Stefano La Colla dans le rôle-titre. C’est un rôle extrêmement difficile. Ce sera sa première fois à Nice. Lui aussi était venu à l’Opéra du Rhin pour chanter Cav/Pag. Il a l’habitude de chanter sous la direction de grands chefs. C’est un grand ténor que je connais depuis longtemps : c’est une vraie fierté de le présenter à Nice. Alessio Cacciamani est super aussi et il fera ses débuts à Nice. C’est un chanteur italien dont j’apprécie la souplesse du chant. Dalibor Jenis sera Frank : c’est un ami de la maison où il a chanté Macbeth il y a deux ans. Pour les deux rôles de femmes, nous aurons Ekaterina Bakanova en Fidelia et Valentina Boi en Tigrana. Elles feront toutes les deux leurs débuts à Nice. Ce sont des rôles difficiles à distribuer : de grands rôles assez lourds, très lyriques, comme on en trouve dans Turandot que Puccini a pourtant composé à l’autre bout de sa vie.
Transfiguré, Les 12 vies de Schönberg a été présenté à la Philharmonie de Paris et sera joué à Nice la saison prochaine : pouvez-vous nous présenter ce projet ?
Ce devait être une large coproduction, dont plusieurs partenaires se sont désistés : Nice est donc l’un des deux seuls coproducteurs. Lorsqu’Olivier Mantei [Directeur de la Philharmonie de Paris, ndlr] m’a parlé de ce projet qui célèbre le 150ème anniversaire de la naissance de Schönberg, j’ai notamment été séduit par son metteur en scène. J’aime bien inviter des personnalités venant d’horizons différents : ce projet sera mené par Bertrand Bonello, un cinéaste niçois dont j’aime l’univers cinématographique. Il adore la musique mais il s’agit de sa première incursion à l’opéra : il devait mettre en scène Don Carlos à l’Opéra de Paris mais Pierre Bergé n’avait pas apprécié qu’il fasse le film Saint Laurent. Il avait donc obtenu que ce soit plutôt Warlikowski qui mène cette production. L’Opéra de Nice a construit le très beau décor : c’est une fierté que nos savoir-faire soient visibles sur les grandes scènes parisiennes. Je suis content aussi de faire entendre au public la musique de Schönberg à Nice, qui a toujours été une terre de musique germanique. C’est un vrai show, un concert augmenté, où on parcourt la vie de Schönberg depuis sa période tonale et son évolution vers le dodécaphonisme, en présentant aussi ses peintures, puisqu’il était aussi un très bon peintre. C’est un spectacle très marquant, bouleversant. Ce sera dirigé par Johanna Malangré et chanté par Sarah Aristidou, avec le grand pianiste niçois David Kadouch.
En janvier, vous présenterez à votre public la production de La Flûte enchantée créée par Cédric Klapisch au TCE cette saison : comment présenteriez-vous cette mise en scène ?
Cédric Klapisch est en effet le second metteur en scène de la saison venant du septième art. Nice est une ville de cinéma : nous avons les studios de la Victorine. J’aime l’idée de proposer à un réalisateur aussi fameux sa première mise en scène d’opéra. J’ai donc accepté immédiatement la proposition de Michel Franck [Directeur du Théâtre des Champs-Élysées, ndlr] de coproduire ce projet, qui était large puisqu’il incluait aussi l’Atelier Lyrique de Tourcoing et l’Opéra de Compiègne. Là encore, les décors ont été construits dans les ateliers de l’Opéra de Nice. C’est une production très lisible, très belle, qui s’intègre parfaitement à notre saison, en contrepoint de propositions plus audacieuses. Ce sera parfait pour le public qui découvrira La Flûte enchantée pour la première fois. La psychologie des personnages est joliment creusée : Pamina et Tamino y forment un nouveau couple idéal et résolument moderne.
Vous poursuivrez à cette occasion votre compagnonnage avec Jean-Christophe Spinosi, qui tiendra la baguette. Pourquoi l’avoir choisi pour cet opus ?
Quand j’ai vu la production, je me suis réjoui que ce soit Jean-Christophe qui dirige. Il aime intervenir dans les mises en scène : il ne fait jamais de répétition uniquement musicales car c’est aussi un directeur d’acteurs qui ne veut pas dissocier la musique du théâtre. Cette production laisse la place à Jean-Christophe pour s’épanouir et proposer une nouvelle vision, différente de la création au TCE. Il va faire émerger d’autres aspects de l’ouvrage et de la psychologie des personnages.
Pouvez-vous nous présenter votre distribution, qui est entièrement renouvelé par rapport au TCE ?
C’est une distribution qui n’est pas forcément francophone, mais avec deux stars de ce répertoire. Joel Prieto en Tamino est un ténor espagnol qui est le seul à chanter ce rôle à la fois à l’Opéra allemand de Berlin et à l’Opéra d'État de Berlin, deux institutions connues pour la divergences de leurs choix de distribution. Il a gagné le concours Operalia à 26 ans. Sydney Mancasola sera quant à elle Pamina, rôle qu’elle a chanté au Met la saison passée. J’ai découvert Tetiana Zhuravel, qui chantera La Reine de la Nuit, sur audition : elle avait été extrêmement impressionnante.
Autre opéra rare : vous présenterez en mars Juliette ou la Clé des songes de Bohuslav Martinů : qu’est-ce qui vous a donné envie de jouer cette œuvre ?
C’est un autre choix de programmation un peu gonflé. Ici, Michel s’absente à lui-même et trouve refuge dans le monde des rêves, où se pose la question de l’amour et de la liberté. C’est un opéra inconnu mais qui a tout de même été donné à l’Opéra de Paris et à Genève. Je le connaissais pour avoir failli le coproduire à Strasbourg avec Zurich, qui en a fait une production également. Cela ne s’était pas fait mais j’avais gardé cette idée en tête. C’est un opéra que Martinů a composé à Nice lors d’un séjour qu’il y fit de mai 1936 à janvier 1937. Sa femme était française et il est revenu plusieurs fois à Nice. C’est aussi pour cela que l’opéra sera donné en français. Georges Neveux, l’auteur de la pièce de théâtre surréaliste qui est à l’origine, a lui aussi passé son enfance à Nice. C’est un magnifique ouvrage, avec des chœurs énormes et un orchestre très important. C’est une musique presque symphonique, avec beaucoup de solistes.
Après Rusalka, Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil (Le Lab) reviendront donc à Nice sur le répertoire Tchèque : quels seront les axes forts de leur production ?
C’est un véritable compagnonnage que nous construisons avec eux : ils reviendront quasiment chaque année. C’est eux qui m’ont proposé cet ouvrage. Leur mise en scène sera axée sur la ville de Nice avec énormément de vidéos qui seront filmées en amont comme ils le font souvent.
C’est un répertoire que connaît bien également Antony Hermus : qu’en attendez-vous ?
C’est l’un des premiers chefs que j’ai distribué aussi vite. C’est aussi un ancien compagnon de route à l’Opéra du Rhin, notamment pour le cycle Janacek. Il dirige les plus grands orchestres, notamment dans ce répertoire mais ne fait pas partie des chefs très médiatiques. Je suis persuadé qu’il sera une révélation pour l’Orchestre Philharmonique de Nice.
Pourquoi avoir choisi Ilona Revolskaya en Juliette face à Valentin Thill en Michel ?
J’ai découvert Ilona Revolskaya en audition : c’est une chanteuse à la fois très à l’aise dans ce répertoire et très douée scéniquement. Or, Le Lab fait un vrai travail de dramaturgie et de théâtre, avec de la vidéo. C’est autant une merveilleuse cantatrice qu’actrice. Ce sera également ses débuts à l’Opéra de Nice. J’aime cet équilibre entre la découverte de nouvelles têtes et des compagnonnages avec des artistes qui aiment venir à Nice et qui sont déjà appréciés du public (Valentin Thill, Jérémy Duffau, Marina Ogii, ou Paul Gay que je connais depuis longtemps mais qui n’était pas encore venu).
Retour en mai à un répertoire plus léger avec Le Barbier de Séville, dans une production sans coproducteur, de Benoît Bénichou : à quoi cette production ressemblera-t-elle ?
C’est une nouvelle production d’un grand titre du répertoire, permettant d’équilibrer avec les titres plus rares, et qui n’avait plus été donné à Nice depuis un moment. Ici, Rosine et Almaviva se battent par amour : l’amour triomphant est un acte de liberté et d’émancipation personnelle et sociale. C’est encore un compagnonnage avec le metteur en scène niçois Benoît Bénichou, qui a notamment mis en scène La Veuve joyeuse et Orphée aux Enfers chez nous. La configuration sera complètement folle puisque le public sera placé sur le plateau et aux balcons et les chanteurs seront dans la salle. Ce sera assez fort. C’est une transposition à notre époque, à l’heure de #MeToo et du conflit social contre le patriarcat. Il voulait que le public observe comme s’il était dans une arène. C’est cette configuration qui explique que nous n’aurons pas de coproducteurs : ce ne sera pas réplicable à d’autres théâtres.
La production sera dirigée par Beatrice Venezi, dont la venue avait fait polémique l’an dernier : que répondez-vous à ses détracteurs ?
Ce projet est le premier que je lui avait confié, avant le Concert du Nouvel An et le ballet qui ont fait polémique : l’objectif n’est pas de jeter de l’huile sur le feu ni de construire un compagnonnage, mais de respecter un contrat qui avait été signé. Il n’y a aucune raison de déprogrammer une artiste du fait de ses prises de position politique. Il faut séparer l’art de la politique. Quand j’engage un artiste, je ne lui demande pas pour qui il vote.
Qui sont les chanteurs que vous avez choisi pour interpréter cette œuvre ?
Nous avons réuni de jeunes talents. C’est une distribution qui va décoiffer le public, ce qui est logique pour un Barbier ! C’est le baryton Gurgen Baveyan, qui a été nommé « chanteur le plus recherché de l’année » par le magazine Opernwelt en 2018, qui fera Figaro. Il faut en face un bon Comte Almaviva : ce sera donc Dave Monaco, un jeune ténor extraordinaire qui chantera pour la première fois à l’Opéra de Nice. Lilly Jørstad, une jeune chanteuse norvégienne, chantera Rosina.
Enfin, vous clôturerez la saison avec Carmen en mai, sous la baguette de votre Chef principal, Lionel Bringuier : pourquoi avez-vous souhaité qu’il dirige cet opus en particulier ?
Nous allons en effet célébrer avec cette production les 150 ans de la création de Carmen, qui entre parfaitement dans notre thème : aimer jusqu’à la mort. C’est une héroïne intemporelle et tragique, indépendante et rebelle. Lionel Bringuier est plutôt un chef symphonique : nous avions convenu qu’il ne dirigerait pas beaucoup d’opéras. Mais Carmen est un opéra qu’il aime diriger (c’est le seul qu’il ait dirigé, mais il l’a déjà fait deux fois). Ce sera son premier opéra à Nice. Il est très ami avec le metteur en scène Daniel Benoin, qui vit également à Nice et dirige le Théâtre Anthéa. Il s’agira de la seule reprise de la saison : c’est une très belle production, créée en 2013. Ce n’est pas une vision traditionnelle de l’œuvre mais une Carmen transposée en 1936, à l’arrivée du franquisme. Il y a une ambiance pesante, correspondant à cette période terrible pour l’Espagne. C’est du vrai théâtre et cela donne du sens à cet ouvrage, que le public qui l’a déjà vu plusieurs fois pourra ainsi redécouvrir.
Qui sont vos interprètes principaux ?
Nous avions invité un grand nom en Carmen, mais elle avait une clause d’exclusivité dans un précédent contrat avec Monte-Carlo : elle ne pouvait pas chanter pendant un an dans les opéras environnants. J’en ai été informé au dernier moment et il a été totalement impossible de m’arranger avec mes collègues monégasques. Finalement, nous aurons donc Ramona Zaharia : j’étais vraiment ravi qu’elle soit disponible parce qu’il s’agira de ses débuts en France pour un rôle qu’elle va chanter à Covent Garden, puis au Met en 2026. Elle sera face à Jean-François Borras en Don José, qui chantera lui aussi à Nice pour la première fois.
Trois semaines plus tard, vous proposerez également une version en Comédie musicale de Carmen : quelle est votre intention avec ce projet ?
C’est un opéra participatif. Pour le 150ème anniversaire de l’opéra le plus joué au monde, j’ai voulu présenter cette version qui est une sorte de Comédie musicale. Le concept a déjà été donné à Cergy-Pontoise par Jean-Philippe Delavault, le conseiller artistique du Théâtre du Châtelet qui avait signé deux mises en scène pour enfants à l’Opéra du Rhin. J’ai beaucoup aimé son concept et je lui ai demandé d’en faire une adaptation pour l’Opéra de Nice. Nous fabriquerons de nouveaux décors et de nouveaux costumes. Nous ne gardons que l’idée, qui était de faire de Carmen un opéra urbain, transposé dans les quartiers et chanté avec une technique vocale de comédie musicale et pas avec des voix lyriques. Il y aura des coupures pour que cela dure 1h15. Nous allons en profiter pour travailler avec les écoles de danse de Nice, des chœurs amateurs de quartiers, des associations culturelles, etc. Le défilé des toréadors de l’acte IV, sera ici une parade de joueurs de football de la Coupe du Monde. Tout est ainsi transposé pour un public jeune, à qui nous allons prouver que l’opéra est aussi fait pour eux : quand ils auront vu ce Carmen Street, ils pourront voir le reste.
Quels seront les principaux évènements de votre saison danse ?
La saison danse débutera avec Coppélia en octobre dans une chorégraphie d’Éric Vu-An. Ce sera un ballet avec orchestre : j’essaie de plus en plus de faire jouer l’orchestre sur les ballets. Il sera dirigé par Léonard Ganvert.
Viendra ensuite Cendrillon dans la célèbre chorégraphie de Thierry Malandain qui est entrée au répertoire la saison dernière, mais nous la donnerons avec orchestre : cela change tout. C’est Marc Leroy-Calatayud qui tiendra la baguette. Il a dirigé un concert du dimanche matin cette saison et cela s’est si bien passé avec l’Orchestre que je lui ai proposé de diriger ce titre. C’est d’ailleurs un grand spécialiste de ballet puisqu’il a souvent dirigé celui de l’Opéra de Bordeaux. Cette chorégraphie utilise un vocabulaire classique mais sa clarté et son esthétique écarte tout le superflu pour nous laisser apprécier la psychologie des personnages. C’est une scénographie sobre, avec un seul tableau.
En avril, nous aurons une soirée mixte avec les plus grands chorégraphes de notre temps. Nous jouerons les Trois Gnossiennes de Hans Van Manen, ce grand chorégraphe néerlandais qui propose un très beau pas de deux sur une musique d’Erik Satie jouée au piano par Roberto Galfione qui est un merveilleux pianiste de l’Opéra. Dans la même soirée, nous présenterons Les Indomptés de Claude Brumachon : un très beau ballet créé en 1992, avec une très forte intensité, beaucoup d’émotion et un très bel équilibre entre des séquences brusques et apaisées. Il y aura aussi The Vertiginous du célèbre chorégraphe américain William Forsythe. Je voulais vraiment que Forsythe revienne à l’Opéra de Nice : ce sera une grande fierté pour la compagnie. Quand on est capable de danser du Forsythe, on peut tout faire ! C’est un immense défi mais nos artistes le méritent. La soirée se terminera avec Cacti dans une chorégraphie d'Alexander Ekman qui a été au répertoire de l’Opéra de Paris. C’est un ballet pour 16 danseurs et un quatuor à cordes. Il y a une force incroyable : je suis sûr que le public sera debout à la fin.
Qu’en est-il des concerts ?
L’arrivée de Lionel Bringuier a créé un véritable engouement : l’Orchestre Philharmonique de Nice est invité aux Chorégies d’Orange, au Festival de Menton, à la Roque d’Anthéron et même pour la première fois aux Folles journées de Nantes. Tous les concerts sont pleins. Nous aurons 42 concerts, dont 8 concerts symphoniques, 3 matinées musicales, 5 concerts famille, des 60 minutes du Philharmonique, le Concert du Nouvel An, la saison de musique de chambre, le Festival de musique sacrée et les concerts jeune public « Viens avec ton doudou ».
Nous ouvrirons la saison avec la 4ème Symphonie de Mahler : ce sera un moment phare de la saison. Pour l’année croisée France-Lituanie, nous jouerons une pièce du compositeur lithuanien Mikalojus Konstantinas Čiurlionis. C’est le chef slovène Marko Letonja, que je connais bien car il a été Directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, qui dirigera ce concert. Il est adoré par notre Orchestre.
Notre Chef principal Lionel Bringuier dirigera 5 concerts : Le Choc des Titans (Mozart-Mahler) en novembre, le Concert du Nouvel An et un concert Elgar & Moussorgski avec Gautier Capuçon en janvier, un concert Beethoven avec son frère Nicolas au piano (ce qui est toujours un grand évènement) en mars, et un hymne à l’Océan que nous créons le 7 juin à l’occasion de la Conférence des Nations-Unies pour l’océan. Y sera créée une œuvre de Yann Robin (dont le Requiem est un ouvrage exceptionnel) qui sera rejouée le lendemain devant tous les chefs d’Etat. C’est une œuvre d’un quart d’heure pour grand orchestre et grand chœur, construite sur une structure proche de celle du Boléro de Ravel. Une étoile du ballet de l’Opéra de Paris dansera d’ailleurs sur cet hymne.
Pour les familles, nous jouerons Pierre et le loup sous la baguette d’Alexandra Cravero et Acis et Galatée avec l’Ensemble Mozaïque dans une mise en scène adaptée aux enfants d’Émilie Delbée. Pour ces concerts du dimanche matin, notre salle de 1.000 personnes est toujours pleine. Ce sont des propositions à 10 euros pour les adultes et gratuites pour les enfants. Cela me donne la chair de poule quand je vois cette salle pleine d’enfants enthousiastes : la musique classique a de l’avenir !