Little Nemo à Nantes : un rêve de gosses
Au moment de se plonger dans la composition de son premier opéra pour Angers Nantes Opéra, David Chaillou (dont vous pouvez lire la passionnante interview à Ôlyrix ici) a choisi de s’intéresser au devenir d’un personnage de bande dessinée, Little Nemo, qui avait bercé son enfance, bien qu’il soit peu connu en France. Ce personnage, dont les aventures originales se déroulent au pays des rêves, a grandi et a perdu son âme d’enfant : il est devenu un magnat de l’immobilier sans pitié ni scrupule. A la mort de sa mère, il retourne dans sa maison d’enfance, où son imagination le rattrape : l’enfant qu’il fut jadis lui ouvre par le chant les portes du pays des rêves, où il est toutefois poursuivi par son moi maléfique, le terrible Flip. L’histoire, probablement trop complexe pour certains des très nombreux enfants présents dans la salle, ouvre de nombreuses références et réflexions aux spectateurs plus âgés, qui ne sont d’ailleurs pas les derniers à jouer avec les ballons de baudruche qui volent au-dessus du public pendant les saluts, preuve qu’ils restent imprégnés par les enfants qu’ils furent ! De nombreux jeux de mots rythment le livret, dans lequel l’utilisation régulière de l’anglais sans logique dramaturgique évidente pose la question de sa compréhension par le jeune public. Jeunes et moins jeunes participent avec enthousiasme au passage dans lequel leur contribution est requise. Les rires et chuchotements permanents des enfants semblent d’ailleurs s’intégrer à la partition, participant de l’instauration de l’univers enfantin.
Richard Rittelmann dans Little Nemo par Olivier Balazuc (© Jef Rabillou)
Comme dans un rêve, la musique enchaîne sans transition des ambiances diverses, les personnages étant définis musicalement dans une partition expressive : le son de clochettes du glockenspiel caractérise par exemple le clown Bonbon (interprété par l’acrobate Cyril Rabbath qui fait virevolter le sucre d’orge qui lui sert de canne, tordant sa silhouette filiforme dans des postures comiques), tandis qu’une partie de wood-block ou de marimba se mélangeant au vibraphone accompagne le danseur Imp (alias Vincent Clavaguera-Pratx, qui s’exprime par la danse et le rythme plutôt qu’avec des mots). La Princesse semble baignée dans le torrent musical du piano, perturbé par les vagues puissantes des violons. La Fée Cristalette chante des notes suraiguës et piquées (faisant penser à la scène du poignard dans le film Psychose) figurant son cœur glacé. Des sons électroniques ou amplifiés se mêlent au réel, créant les impressions angoissantes que l’on ressent quand un rêve est en passe de se transformer en cauchemar. Lorsque le sage Lunatrix chante des comptines, un accompagnement en mode mineur leur confère une certaine mélancolie. La partition est interprétée par onze musiciens de l’ensemble Ars Nova, dirigé avec précision par Philippe Nahon.
Little Nemo par Olivier Balazuc (© Jef Rabillou)
Dans la mise en scène d'Olivier Balazuc (également co-librettiste avec Arnaud Delalande), les décors (imaginés par Bruno de Lavenère) changent en permanence avec une grande fluidité, créant divers univers, bien aidés en cela par les lumières de Laurent Castaingt. De même, les costumes tiennent un rôle majeur pour créer les personnages fantasques et fantasmés, inspirés de l’univers d’Alice au Pays des merveilles. Le terrible Flip est à mi-chemin entre le Chapelier fou et le Joker de Batman, produisant un rire terrifiant rappelant le clown du film « Ça - Il est revenu » de Tommy Lee Wallace d’après Stephen King, tandis que le Chambellan est une sorte de Dame de Cœur au masculin, avec sa coiffure et sa barbe rouges vifs. Les solistes et les choristes interprétant différents personnages, des loges ont dû être installées en coulisse afin de permettre des changements rapides d’apparats.
Little Nemo par Olivier Balazuc (© Jef Rabillou)
Le plateau vocal (qui va devoir assumer onze représentations en dix jours, ce qui est en soi une véritable prouesse !) fait face à une partition complexe, tant d’un point de vue rythmique, stylistique (du fait de ruptures constantes dans le chant liées aux nombreux sauts d’intervalles, mais aussi entre le chant et le parlé-chanté), que vocal (les ambitus réclamés mettent d’ailleurs en difficulté certains d’entre eux). Il est emmené par la jeune Chloé Briot, qui s’affirme comme l’un des grands espoirs du chant lyrique français (et que nous vous encourageons à ajouter, comme nous, à vos favoris Ôlyrix en cliquant sur le bouton en haut de sa page, afin de ne rien manquer de son actualité). Tout chez elle la rapproche de son personnage (comme de deux autres de ses personnages majeurs, d’ailleurs : Yniold dans Pelléas et Mélisande de Debussy et l’Enfant dans L’Enfant et les Sortilèges de Ravel), à savoir Nemo enfant, dont le livret suit les aventures à Slumberland, le pays des rêves : sa morphologie (elle mesure deux têtes de moins que les autres interprètes), ses expressions juvéniles, mais aussi sa voix claire et pure dans les aigus, qui trouvent une profondeur et une chaleur surprenantes dans son registre médian. L’intensité et la vigueur de son vibrato ainsi que son timbre de soie la mèneront indéniablement à une belle carrière si elle parvient à les soigner tout en les valorisant par ses choix de répertoire.
Little Nemo par Olivier Balazuc (© Jef Rabillou)
Son alter ego adulte dans le monde réel et son moi malfaisant au pays des rêves est interprété par le baryton Richard Rittelmann. En difficulté dans les graves au cours du prologue, il peine à y insuffler la puissance nécessaire pour incarner ce richissime homme d’affaires sans scrupule. Il compense alors par un jeu scénique impliqué et convaincant, auquel il prend (et partage, du coup) beaucoup de plaisir. Sa performance de comédien est encore mieux valorisée lorsqu’il prend le grimage de Flip. La partition correspond alors également mieux à sa voix et il s’y tire sans encombre d’une partie rythmiquement périlleuse. Lorsqu’il prononce « C’était la mienne, la maison de mon enfance » durant le prologue, ou « Stella ! » dans l’épilogue, il affiche une voix suave et vibrante qui impressionne. Son élocution est soignée, rappelant la prosodie de son mentor, Roberto Alagna.
La soprano Hadhoum Tunc est alternativement la Princesse, son double réel, Stella, et la Fée Cristalette. Allégeant certaines notes, elle crée des effets vocaux qui semblent faire planer le son de sa voix caressante. Florian Cafiero chante le Greffier, le Docteur Pilule (qui se meut grâce à un unique patin à roulettes, vendant de l’oxygène gratuite et donc pas chère !) et le Chambellan. Sa voix est puissante, y compris dans le registre grave qu’il sollicite abondamment dans son personnage du Docteur Pilule. Enfin, Bertrand Bontoux campe un Roi et un Sage Lunatrix débonnaires, d’une voix mal ancrée dans les médiums, mais absolument brillante dans les extrêmes graves. Autant de personnages insolites qui mettent des étoiles dans les yeux des petits et des grands.
Chloé Briot et Cyril Rabbath dans Little Nemo par Olivier Balazuc (© Jef Rabillou)
L'Opéra vous rend-il votre âme d'enfant ? Partagez vos premiers souvenirs musicaux dans les commentaires.