La Rondine au MET : les tragi-gaîtés parisiennes de Puccini à NYC
La Rondine est un opéra entre légèreté et profondeur, mais aussi comme en contre-point à La Bohème (l'action se tient ici dans le Paris de Napoléon III, mais aussi sur la Côte d'Azur). Cette production de Nicolas Joël (revue à Toulouse il y a quelques années) fait alors le choix, certes non radical, mais original et intéressant, d’une transposition dans les années 1920. Le Paris et la Riviera des Années Folles semblent alors bien proches des références américaines d’un Gatsby. Pourtant l’héroïne est bien ici féminine (Magda) et le réel support masculin en devient le poète (Prunier), à l’allure très proustienne dans le beau monde parisien représenté sur scène.
La cheffe italienne Speranza Scappucci dirige cet opéra léger et profond avec beaucoup de délicatesse, et tout en dynamiques. Les pupitres de cordes sont notamment menés avec un sens précieux du mouvement, dans une qualité sonore constante.
Sur scène, la distribution est un peu moins équilibrée. Les solistes s’investissent toutefois dans le jeu d’acteurs, mais cela vient desservir leurs parties vocales. Le poète Prunier est interprété avec efficacité par Bekhzod Davronov. Sans grands effets ou sur-jeu, le ténor assure un timbre clair, tout en rondeur et en chaleur, en dépit de la longueur de ses parties. Son engagement vocal est toutefois moindre pendant le premier acte, ses parties manquant de souffle, et parfois de puissance.
Face à lui, Ruggero (dont Magda renoncera finalement à l'amour), interprété par Jonathan Tetelman, propose un ténor pincé et nasal qui tranche avec le reste de la distribution. Il contient sa véritable puissance vocale, travaillant sa musicalité dans les parties plus lyriques avec une grande tenue.
Face à l'amant Ruggero, le banquier Rambaldo est interprété par le baryton-basse Alfred Walker. Plutôt discret vocalement, son ton sec et clair manque de souffle mais sait parfois déployer tout de même une certaine puissance, contrastant aussi avec son travail d'incarnation effacée.
Face aux rôles masculins, les rôles féminins sont assurés avec professionnalisme, mais aussi de la joie. Magda est interprétée par Angel Blue, star de la soirée poussant l'héroïne au tragique (mais négligeant de fait toute la part festive de la vie du personnage qui doit rendre le drame d'autant plus saisissant par contraste : sa vie est en bien des aspects celle d'une Traviata mais qui choisirait la voie de la vie plutôt que de l'amour). Sa présence vocale n'en associe pas moins puissance et chaleur, avec un vibrato large. Son timbre velouté est charmeur, mais ses aigus un peu trop variables.
À l’inverse, Emily Pogorelc se lance dans le rôle de Lisette comme le personnage : de manière effrontée. Un peu hésitante sur l’intonation et le staccato dans le premier acte, elle passe des accents poussés à des exclamations chantées.
La voix d’Ellie Dehn (qui chante justement le rôle d'une chanteuse), surgissant depuis l'hors-scène, surprend et saisit alors d'autant plus par la présence assurée de son fin vibrato, associé à la puissance et la rondeur du ton. Quelques secondes de chant suffisent à marquer un moment de beauté de l’opéra.
Une multitude de rôles secondaires forme la vie parisienne mondaine. Les trois ironiques grâces Yvette, Bianca et Suzy sont chacune interprétées de manière très différente. Magdalena Kuźma affirme sa chaleur vocale même dans les parties très aiguës, avec vibrato serré. Amanda Batista joue plutôt sur l'effet parlé, même si son phrasé garde une souplesse chantante. Sun-Ly Pierce est très discrète et son phrasé rond manque de puissance.
Face au trio féminin, le trio masculin est composé de Gobin, Périchaud et Crébillon. De la même manière que pour Yvette, Bianca et Suzy, leur apparition est tout à fait accomplie, tant ils incarnent le flegme mondain. Vocalement ils restent cependant plus discrets. Le ténor Scott Scully est efficace et dynamique, ce qui fait avancer la scène musicalement. Christopher Job ponctue en affirmant son timbre de baryton-basse. Paul Corona impose de tendre l'oreille pour saisir son chant discret, tout comme le majordome, interprété par Jonathan Scott (mais qui s'affirme avec puissance dans de brèves interventions). La galerie des autres petits rôles se réunit en un travail scénique dynamique, couvrant aussi leurs quelques interventions vocales surtout dans un chant d'ensemble (tandis que le Chœur fait une intervention flottante dans le rythme et dans l’intonation).
La fin de l’opéra (qui renonce au tragique) laisse le public, pourtant porté pendant toute la soirée, un peu cueilli à froid pour les saluts. Ceux-ci se font d’ailleurs devant le rideau avec uniquement les rôles principaux, comme si cette petite fable parisienne s’annonçait à méditer, avant de retrouver les fastes de la grande vie cette fois new-yorkaise.