Bach à Pâques : de l’abîme à la lumière à La Seine Musicale
À tout seigneur tout honneur, le grand Johann Sebastian Bach fournit la matière de ce programme qui rassemble des œuvres diverses, réunies par la thématique du programme et le parcours annoncé dans son titre. Les Motets et les Cantates réunis ici narrent en effet (chacun, chacune et dans leur enchaînement) le parcours thématique en cette période de Pâques : allant de l'abîme à la lumière (mort et résurrection). L'assemblage d'œuvres différentes, de motets (poèmes en chant) et de cantates (prières et épisodes narratifs en chant) est original, même si ces deux formes partagent des qualités essentielles et de plus en plus rapprochées (de richesse expressive et de texture d'écriture) chez Bach Père. De surcroît, ce programme réunit Jean-Sébastien Bach avec son fils Carl Philipp Emanuel Bach, dont le court "Heilig" (Saint) clôt le concert en menant du Baroque vers le Classicisme.
L'interprétation de ces musiciens se concentre, ce soir mais comme à leur habitude, sur un grand respect des partitions, laissant Bach & Bach tout naturellement composer par eux-mêmes ce parcours de l'abîme à la lumière. Les débuts du concert traduisent cependant un parcours allant de la brume à l'éclaircie sur le plan du jeu : les premiers accords flottent dans l'acoustique mais aussi dans les attaques instrumentales, le temps que le crin des talons d'archets et le bois des baguettes du timbalier trouvent leurs appuis sur la pulsation pourtant très claire de Laurence Equilbey. La brume est même épaisse pour les vents : pour les bois s'accrochant à leurs lignes virtuoses et surtout pour les cuivres (certes, les plus réticents des instruments anciens sur lesquels joue tout Insula Orchestra pour revenir au plus près de l'esprit de Bach et des autres).
La phalange retrouve toutefois progressivement ses esprits et l'Esprit musical, avec la battue de Laurence Equilbey, toujours franche mais non dénuée d'une souplesse parfois rebondissante (ce qui n'enlève rien à la précision sculptée de sa direction à main nue, au contraire).
Le Chœur accentus (préparé avec Richard Wilberforce) témoigne de son habituelle qualité et précision, mais respectant de fait davantage le texte que le Texte : les notes et les nuances sont impeccables, sans excès ni débordement. Cette proposition du choeur, cohérente avec le jeu de l'orchestre sur instruments d'époque et les recherches musicologiques, s'éloigne d'un baroque plus "romantique" tel qu'il a été redécouvert et promu (par Mendelssohn, redécouvreur des Passions de Bach). Le public en tous les cas, s'immerge visiblement dans cette proposition, écoutant dans un silence religieux cette interprétation qui ne creuse pas la profondeur du grave et des timbres, privilégiant l'homogénéité, la clarté, la précision. Les voix n'en sont pas moins nourries (mais d'un son au souffle clair), les accents pas moins intenses (mais pleinement maîtrisés jusque dans leurs interruptions). Les chœurs et l'orchestre trouvent ainsi et ne quittent plus une concorde expressive dont l'homogénéité rend la richesse de l'oeuvre, par des effets marquants mais sans démonstration aucune (comme par exemple et notamment lorsque les sopranos du chœur et le hautbois contrepointent et asseyent sur un nuage harmonique l'intervention du soliste grave, ou lorsqu'une partie du chœur dans les hauteurs de la salle, répond aux Saints appels -pour la pièce composée par Carl Philipp Emanuel Bach).
Les solistes offrent eux aussi des prestations homogènes dans leurs interprétations, pour que le propos traduise ses propres contrastes (tant et si bien qu'ils finissent même par rejoindre le chœur en arrière-scène).
Victor Sicard se voit confier la partie de basse soliste, qu'il chante de son baryton homogène : son interprétation est portée par une grande conscience du phrasé et un vibrato rapide, précieux pour relier les grands écarts de registre que lui demande la partition. Il tube ainsi les vocalises pour les rendre sonores, il appuie les douces mélopées de vifs accents, qu'il soulève vers l'aigu.
Le ténor de ces pièces est sans doute attendu dans un chant angélique, alors comme pour poser d'emblée un contraste expressif (avec contrôle et mesure), Gwilym Bowen affirme son grave dès ses premières entrées. La voix s'élève ensuite vers les aigus en gardant son ancrage mais il manque de souffle et ses phrasés vocalisants ne se rapportent malheureusement nullement aux boucles blondes de sa chevelure (rappelant les anges de tableaux de la Renaissance italienne).
Rose Naggar-Tremblay pour sa part déploie effectivement la tessiture annoncée d'alto et avec longueur de souffle, mais toujours dans l'esprit de ce concert : elle installe une voix sombre mais en couleurs et dont la rondeur se conserve vers les aigus. Son ample articulation s'allie aussi avec ses accents précis (même lorsqu'elle plonge dans la partition et que ses élans expressifs sont alors dirigés vers sa tablette numérique).
Enfin, la soprano soliste Sheva Tehoval apporte la lumière de son sourire radieux (ce qui influe de la meilleure des manières sur le rayonnement du timbre), mais la voix reste un peu dans l'abîme d'un certain manque de volume et de matière sonore (notamment en raison d'un souffle peu fourni).
L'assistance est à ce point immergée dans l'écoute qu'elle lance quelques applaudissements entre certains morceaux. Le rituel du concert n'étant pas parole d'évangile sur ce point, notamment lorsqu'un programme comme celui-ci réunit différentes œuvres mais en un souffle continu, la salle et même la scène semblent hésiter à encourager ou réfréner ces applaudissements. Laurence Equilbey tranche là aussi, non sans souplesse : elle les accepte et les encourage même entre les deux Motets, faisant saluer les artistes, visiblement ravie de leur prestation. Elle veillera par la suite à enchaîner les morceaux suivants, menant donc vers la Lumière de longs et nourris applaudissements finaux.