Asmik Grigorian triomphe en Madame Butterfly en direct de Londres
Les habitués des retransmissions d’opéra du Royal Opera House auront reconnu la mise en scène traditionnelle et épurée de Madame Butterfly (Puccini) signée du duo de metteurs en scène Patrice Caurier et Moshe Leiser, qui occupe régulièrement la scène londonienne depuis 2002.
Il y a de ça un an et demi, c’est avec la soprano Maria Agresta dans le rôle-titre que cette production avait été retransmise. Et il s’avère très intéressant de revoir sur grand écran le même décor (de Christian Fenouillat) avec des interprètes différents. Il semble qu’une attention particulière ait été portée à l’interprétation dramatique, élément qui faisait un peu défaut dans la version précédente, ou en tout cas à l’interprétation (et la réalisation) cinématographique, car nombre regards, intentions et détails ressortent en gros plan (et peut-être pas à la scène) et nourrissent le drame avec justesse. Les questionnements, les remords, les doutes, les espoirs paraissent avec limpidité et simplicité, et le chemin vers le drame n’en est que mieux éclairé. Il est d’ailleurs question pendant l’entracte (toujours animé par une interview dans les coulisses de la production) du travail de l’ombre des éclairagistes, qui s’affairent tout au long du spectacle à créer et découper des ambiances, qui donnent toute leur matière aux décors et aux chanteurs. La mise en scène efficace et attentive au respect de la culture japonaise laisse toute sa place au drame qui se déploie dans la fosse et au travers de chaque protagoniste.
Le chef Kevin John Edusei aborde la fugue introductive de l’opéra avec vivacité et franchise, et conservera dans l’ensemble des tempi allants tout au long de la soirée sans toutefois oublier de ménager des espaces beaucoup plus retenus et d’y laisser les voix s’y développer. Les couleurs très variées de l’Orchestre du Royal Opera et en particulier des vents ressortent particulièrement bien à travers la captation. Les interventions du Chœur maison sont de la même qualité et riches de sensibilité.
Du côté soliste, Jeremy White est un oncle bonze idéalement furibond et trouble-fête à la voix caverneuse. La Kate Pinkerton de Veena Akama-Makia, reste un peu en ombre chinoise mais convainc par sa justesse en place dans sa courte intervention. Josef Jeongmeen Ahn incarne un malheureux Prince Yamadori hiératique et vocalement bien ancré.
Interprète d’un Goro plus avare que cynique, Ya-Chung Huang déploie un jeu nuancé et des interventions piquantes de caractère dans le rôle du mesquin marieur. La Suzuki de Hongni Wu tire son épingle du jeu grâce à une incarnation toute d’élégance et de retenue à travers laquelle transparaît à la fois une fragilité et une force. La voix est équilibrée dans tous les registres et trouve des couleurs bien affirmées dans le médium et le grave poitriné chaleureux. Lauri Vasar incarne un Sharpless touchant et respectueux, au timbre métallique et aux graves et aigus aisément accessibles, dans une interprétation plus mesurée mais pas moins juste que les autres.
Déjà titulaire du rôle lors de la dernière retransmission de cette production, Joshua Guerrero semble aborder le rôle de Pinkerton avec une nouvelle énergie, en tant qu’acteur d’abord car il donne à voir un visage aux nombreuses nuances, intéressantes à développer pour ce personnage qui n’est pas d’un seul bloc. Il se trouve également en forme vocalement, avec cependant ici moins de nuances mais parfaitement solide sur un instrument éclatant notamment dans le registre aigu.
Enfin, la composition dramatique d’Asmik Grigorian dans le rôle-titre vient former la clef de voûte de cet ensemble déjà bien construit par son intensité et sa maîtrise. La chanteuse campe une Butterfly très intérieure et mystérieuse, la candeur passant au second plan au premier acte, au profit d’une présence habitée, animée d’une conviction lumineuse. La voix quant à elle est d’une grande souplesse et le souffle semble infini, portant aigus piani ou forte avec aisance et sans faille, jusqu’à l’acmé final, bouleversant.
Au (re)lever de rideau, la chanteuse seule reçoit une standing ovation de la part du public (en salle), avant que l’ensemble de la distribution ne soit chaleureusement saluée à son tour.
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