Célébrations de Pâques à l’Opéra de Massy
Spécialisés dans la musique sacrée de la Renaissance, les dix chanteurs & chanteuses formant The Tallis Scholars, dirigés par Peter Phillips qui a fondé l’ensemble en 1973, interprètent à l'Opéra de Massy un programme tournant autour de Josquin des Prés (compositeur phare de cette époque), et en particulier de sa Missa Pange Lingua. Les temps de cette Messe, sur l'hymne "Pange lingua" (Chante, ô ma langue) attribué à Saint Thomas d'Aquin et célébrant la Fête-Dieu (deux mois après Pâques), sont interpolés avec d’autres pièces, dont le Stabat Mater de Josquin des Prés (pleinement dans la thématique pascale, narrant l’histoire de la mère de Jésus, près de la Croix) ainsi que d’autres pièces latines des héritiers de Josquin : l’italien Giovanni Pierluigi da Palestrina et l’anglais William Byrd.
Ce qui frappe tout d’abord, et dès les premières notes, c’est la couleur du son de cet ensemble : un son chaleureux à la fois délicat et puissant qui résonne dans l’Opéra. Les choristes ne sont qu’entre huit et dix sur scène en fonction des compositions mais le rendu sonore est intense et plein d’énergie sans jamais devenir agressif. Les timbres des voix se mélangent naturellement et sans efforts, ce qui témoigne de leur métier commun.
Outre le timbre, la technique vocale impressionne également l’auditoire. Les notes sont attaquées de façon très directes et précises. En outre, l’articulation favorise le dynamisme et la fluidité de l’ensemble : un dynamisme pleinement porté également par la direction de Peter Phillips, qui insuffle une énergie précise faite de mouvements fins mais intenses (dans un enthousiasme visiblement partagé avec les chanteurs et le public).
Le Stabat Mater de Josquin des Prés notamment déploie de grands phrasés nourris, avec force résonances, crescendos, tenues des notes, respirations et legato infaillibles, formant un équilibre vocal intense. Les notes s’enchaînent aussi avec de souples liaisons et des respirations fluides malgré des phrases généralement assez longues. Seules les basses ont par moments une respiration plus hachée qui contraste avec le legato des autres pupitres. Le chœur joue également beaucoup sur les nuances et de manière habile, ce qui, en plus de participer au dynamisme de l’ensemble, permet de mettre en avant le pupitre qui chante le thème lorsque celui-ci circule entre les différentes voix.
Toutefois, certains des artistes de ce chœur ne paraissent pas toujours attentifs aux indications du chef. La plupart d’entre eux ont le plus souvent les yeux rivés sur la partition et ils semblent si concentrés sur la maîtrise de leur propre voix qu’ils peuvent en venir à ne plus écouter les autres parties. Peter Phillips reprend alors l’attention de l’ensemble lors des fins de phrases. Preuve en est : les harmonies finales sont parfaitement tenues par le chœur et les voix s’éteignent avec la même netteté et la même précision à chaque fois. Cependant, la résonance de ces fins de phrases semble parfois amoindrie, malgré la puissance vocale et la maîtrise des choristes (ce qui n’est toutefois pas étonnant pour un répertoire pensé pour être interprété dans des églises). Les duos qui se font entendre sont rafraîchissants et apportent de la légèreté au concert (même s’ils peuvent avoir pour défaut de souligner davantage le manque d’écoute des choristes entre eux).
Les Tallis Scholars quittent la scène sous un tonnerre d’applaudissements mais ils reviennent pour chanter en bis le motet Regina Caeli à dix voix de Nicolas Gombert, élève de Josquin des Prés. C’est après cette dernière démonstration de technique, de virtuosité et de sensibilité que le chœur quitte pour de bon la scène de l’Opéra de Massy sous les acclamations du public.