Captivants contes et légendes distillés par Julie Fuchs à l'Athénée
Le Théâtre de l’Athénée est bien rempli et fort attentif pour ces nouvelles retrouvailles entre deux artistes qui se sont connus au CNSM, et ont jalonné leur parcours commun de nombreuses et belles étapes comme par exemple un album Debussy / Mahler, en 2012. Surtout, ils mettent toujours à l’honneur dans leurs programmes l’éclectisme et la fantaisie, mêlant avec intelligence et savoir-faire le répertoire classique de mélodies et de Lieder avec des pièces de musicals, de jazz, de variété…
C’est ainsi que Julie Fuchs débute la soirée, non pas en chantant mais en prenant soin d’expliquer sur un ton enjoué le fil rouge des pièces disparates qui composent le programme : il s’agit de raconter des histoires, de faire vivre des légendes, d’incarner des rêves, de mêler le vrai et le faux, dans un parcours ludique et novateur qui va de Ravel à Augusta Holmès en passant par Hugo Wolf, Purcell ou Sondheim…
Julie Fuchs dispose de bien des facettes à son art, et n’en néglige aucune : elle est tout d’abord une excellente technicienne, avec une voix de soprano léger qui s’est un peu étoffée avec les années et qui a gagné en rondeur et en profondeur dans le médium. Même si le vibrato reste très léger et l’ampleur un tant soit peu restreinte, la projection et le focus donnent une acuité saisissante à ses phrases et un relief toujours savoureux dans la construction de chaque pièce.
Mutine et espiègle dans Wolf, notamment dans Die Bekehrte (La Convertie), elle devient mystérieuse et sensuelle dans Shéhérazade de Ravel, ou bien déchainée et mordante dans Into the woods de Sondheim. La diction est toujours travaillée, et l’articulation soignée. Et sa justesse reste irréprochable, même si deux ou trois micro-félures de soutien apparaissent dans Après un rêve de Fauré (facilement compréhensible cependant, au vu de l’ampleur du programme donné sans interruption). Elle instaure, dans le Both sides now de Joni Mitchell (arrangé par Arthur Lavandier, un autre du Balcon) en guise de final, assise au bord de la scène, un moment de communion intime et précieux avec son public, donnant à cette célèbre chanson des accents percutants qui touchent l’âme.
Elle est aussi comédienne confirmée, faisant de chaque pièce une scène de théâtre vivante et accomplie, son regard très assuré racontant mille choses annexes au public, tandis que sa stature fière lui donne une dimension de tragédienne et une présence fascinante.
De surcroit, elle se joue avec amusement et facilité de chaque style, usant de belting (technique de comédie musicale consistant à tenir ses notes en voix de poitrine, même dans les aigus) dans les morceaux de comédie musicale, de sons très droits dans Purcell, mais aussi jouant avec les phrasés, allant jusqu’à instiller quelques glissandi véristes dans le "Deh vieni non tardar" de Suzanne (Les Noces de Figaro) qu’elle offre en guise de deuxième bis comme une fleur délicate posée sur un plat gastronomique.
Alphonse Cemin n’est pas en reste. Son jeu très souple et expressif reste toujours au service de la voix, épousant des suggestions de la soprano comme une ombre fidèle et rassurante, mais multipliant également les propositions musicales les plus dynamiques et inventives pour renouveler le propos à chaque pièce et multiplier ainsi les ambiances et les univers d’un programme déjà très varié en soi. Si la complicité entre les deux artistes est évidente et transparait dans le moindre échange de regards, il offre aussi, en solo, dans Ondine de Ravel, une virtuosité et une délicatesse remarquées.
Ainsi se déclinent au fil de la soirée les contes et les légendes les plus enivrants, le tout avec une mise en espace très simple et épurée, mais néanmoins à l’esthétique pointue grâce à un jeu de lumières confidentielles (Catherine Verheyde), d’ampoules nacrées et de bougies judicieusement placées pour créer une ambiance à la fois intime et subtilement nocturne à ce récital accompli et salué par des applaudissements nourris et enthousiastes.