Bel canto kurde Salle Cortot
La soprano kurde consacre cette soirée à la mémoire de Leyla Bedir Khan (1907 ou 1903 ou autre-1986), danseuse de ballet internationale ayant marqué les années 1920-30. De même que la danseuse, partie du ballet classique, poursuivait un travail de pantomime inspiré des traditions kurdes et mésopotamiennes, mais aussi zoroastriennes et indiennes, Pervin Chakar propose un programme mêlant opéra et chants traditionnels kurdes. La première partie du récital, ouvert par la Vocalise en forme de Habanera de Ravel, est consacrée à des airs du répertoire lyrique français et italien et la seconde à des airs classiques kurdes, toujours accompagnés au piano (airs que la cantatrice sort de leur cadre populaire ou folklorique pour les aborder en prolongation aux airs d’opéras, comme une sorte de « bel canto kurde » : en témoignent par exemple les airs Ciyayên me, « Nos montagnes » ou encore Lo Şivano, « Ô berger », où la soprano insiste en faisant jouer de la voix sur l’aspect lyrique du chant).
Elle est accompagnée au piano par Genc Tukiçi, au jeu d’abord vif et nerveux (trop nerveux pour Ravel, mais plus adapté à l’Alleluja du Exsultate, Jubilate de Mozart). Il s’apaise par la suite, bien que parfois trop leste, mais il suit la soprano avec attention et précision.
La soprano Pervin Chakar fait montre d’un timbre particulièrement riche et aux aigus clairs et sonores se détachant d’une voix chaude aux teintes automnales – la palette est variée dans la profusion de couleurs. La puissance est également là, puissance dont la chanteuse n’hésite pas à démontrer les possibilités – parfois au détriment du souffle cependant, parfois difficile à répartir et obstruant la souplesse nécessaire pour revenir sur le bas de la tessiture. Elle présente également un engagement et un plaisir musical dévoué aussi bien dans l’opéra que dans la musique kurde, rebondissant sur chaque note avec aisance. La théâtralité du jeu semble légèrement excessive, la voix se suffisant amplement à elle-même pour transmettre l’émotion. En témoigne son interprétation de Giulietta dans I Capuleti e i Montecchi de Bellini avec "Oh! quante volte", la soprano expliquant combien cet air, qu’elle a chanté plusieurs fois, lui tient à cœur et qu’elle le reprend ici en mémoire à la princesse Leyla Bedir Khan. Malgré une diction française moins aisée, elle propose également une Marguerite investie dans l’"Air des Bijoux" de Faust.
Very happy ️#sallecortot #pervinchakar #leylabedirxan pic.twitter.com/hsuNN9wKjD
— Pervin Chakar (@PervinChakar) 18 mars 2024
Le concert se poursuit avec les chants kurdes introduits par le chant traditionnel Newrôz, du nom de la fête du Nouvel An kurde, ayant lieu chaque 21 mars. Les couleurs du timbre sont à nouveau rehaussées dans l’air Lo Şivano, qui envahit la salle d’une profonde mélancolie et davantage encore avec l’air Arix, écrit après un séisme survenu en 1939 dans la province d'Erzincan, à l’Est de la Turquie, ayant fait autour de 33.000 morts et pour lequel Leyla Bedir Khan avait aidé financièrement les victimes. Le concert s’achève sur Dayê welat şerîn e « Mère, la patrie est douce », reprise en bis.
Le public au complet lui fait un triomphe total dans une standing ovation sur laquelle s’achève le concert.