Luisa Miller à Tours : un "Romeo et Juliette" Verdien sous tension
Deux jeunes gens dont l'amour est rendu impossible par les distances entre leurs familles respectives finissent par mourir en buvant du poison : cette intrigue est celle de Roméo et Juliette, mais aussi de Luisa Miller et de Rodolfo Walter. À Tours, le drame proposé par cette production aura toutefois commencé avant même de commencer et même en ne commençant pas justement : comme désormais de tradition, les musiciens de l'Orchestre expriment leurs inquiétudes et revendications avant le lever de ce rideau dominical, une situation (dont nous avons rendu compte dans nos précédents articles) qui ne se résout donc toujours pas et qui a même mené à l’annulation de la première des deux représentations de ce spectacle.
Le drame menaçant -dans cet opéra- est rendu d'autant plus urgent sur ce plateau par la scénographie de Lionel Lesire, notamment cet immense cadrant d'horloge détruit (une aiguille tombe même après un coup de feu et reste ancrée au sol) et ces murs gris crayonnés.
L'opéra est l'art des contrastes et Verdi est un maître pour donner à la terrible grisaille des drames les couleurs vives de la musique romantique et bel cantiste. Ces contrastes sont assumés par Lionel Lesire qui signe ces décors mais aussi des costumes en fort contraste, entre élégance et humilité, cravate et couronne, et surtout, à lui seul, avec le rouge de Wurm : le majordome du Comte de Walter flamboyant ici des chaussettes jusqu’à la perruque.
La mise en scène de Frédéric Roels s'appuie pleinement sur les contrastes et sur la dynamique de ce drame (et de cette partition) à rebondissements. Des personnages surgissent des décors par des panneaux mobiles, ou des ouvertures dans les modules formant et reformant les façades de la ville et les recoins du château.
Les lumières et les effets vidéo de Laurent Castaingt animent également ce plateau, d'une palette sobre et cohérente, sans changements drastiques (créant les ambiances parfois pâles avec des tons froids, ou vivaces avec des couleurs plus intenses et colorées, culminant dans un éclat jaune poignant lors du dénouement tragique des amoureux).
Les couleurs sont également et bien entendu en fosse, avec une vivacité audacieuse portée par la direction musicale de Dayner Tafur-Diaz. L'Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours met ainsi en valeur les nuances de la partition, la clarté et la concision des solos, au service d'une construction soutenue de la richesse sonore par un phrasé fluide et vivant. Cette construction n'en est pas moins menée jusqu'aux paroxysmes de tempi et d'intensité tout en restant attentive aux dynamiques de chaque scène et aux liens avec le plateau.
Le Chœur de l’Opéra de Tours, sous la direction de David Jackson, offre une harmonie homogène mais également adaptée aux différentes scènes et nuances artistiques, avec les dynamiques requises.
Le Comte de Walter, interprété par Julien Véronèse, se distingue par son accentuation dramatique, un timbre chaleureux et ample. Sa technique agile lui permet d'investir aisément les phrasés et l'acoustique.
Anthony Ciaramitaro, dans le rôle de son fils Rodolfo, sait soutenir la chaleur des scènes plus intimes mais aussi le sang des confrontations aux phrasés plus intenses, avec un chant clair soutenant un ton charismatique.
En Federica (duchesse d'Ostheim promise par le Comte à Rodolfo), Irene Savignano offre une voix travaillée, dont le timbre léger passe néanmoins la fosse, en conservant cet air arrogant de son personnage (que porte aussi son jeu aisé).
Wurm, incarné par Mischa Schelomianski, assume son accoutrement par un jeu satirique. Toutefois, son chant le rapproche du Comte avec un soutien nourri et une puissance qui devient parfois même écrasante (comme ses soupçons).
André Heyboer, dans le rôle de Miller, se caractérise par une voix claire mais ferme, aux teintes dramatiques naviguant avec aisance entre l'intensité (face aux hommes) et la tendresse d'un phrasé plus contourné (avec sa fille). Son jeu théâtral travaillé rehausse ces dimensions, là encore dans un contraste très adapté à cet opéra et cette production.
Dans le rôle-titre, Cristina Giannelli affirme ses aigus et sa technique, via une projection qui entraîne parfois un peu de tension. Ses vibratos affirmés retiennent parfois les dynamiques des variations (certes démesurées) requises par l'ampleur de ce drame.
Natalie Pérez assume la tendresse vocale de son rôle de jeune villageoise (Laura) par un chant clair et compréhensible. Emmanuel Zanaroli offre au contadino (fermier) une voix claire et vive au timbre chaud.
Chaque élément et personnage apporte ainsi sa pierre à l'édifice de cette tragédie verdienne applaudie avec force et gratitude, à la fois malgré et en raison des circonstances.