Samuel Mariño enflamme Versailles
Après un récital mémorable l’année dernière en la Galerie des Glaces du Château de Versailles l'année dernière, c’est aujourd’hui sous le superbe plafond peint de l’Apothéose d’Hercule que le public se sent privilégié d’assister de nouveau au « phénoménal phénomène » qu’est Samuel Mariño. Dans un programme d’airs extraits d’œuvres lyriques de Vivaldi, Haendel, Gluck et Hasse, il fait montre avec une énergie constante ses prouesses vocales.
D’abord vêtu d’une robe aux motifs écossais avec une veste de strass sur un T-shirt transparent en tulle noir, puis d’un ensemble noir à paillettes sur de hauts talons argentés, le sopraniste assume immédiatement et pleinement la flamboyance de ses aigus : la voix ne manque pas d’audace et, encouragé par la vivacité de l’accompagnement instrumental, n’hésite pas à prendre des risques dans des tempi haletants. Déferlant depuis les hauteurs éclatantes et sonores de son registre, ses agiles vocalises se font autant de feux d’artifices, superbement féroces lors du "Morte col fiero aspetto" (Marc’Antonio e Cleopatra de Hasse). L’artiste vénézuélien ne manque pas non plus de malice, voire d’insolence, dans ses prouesses vocales, s’en amusant pour le plus grand plaisir du public. Il en rit même de bon cœur lors de sa dualité complice avec la hautboïste Michaela Hrabankova sur l’air "Quella fiamma" de l’Arminio de Haendel. Samuel Mariño se montre également sensible avec des airs beaucoup plus tendres, dans ce programme ainsi fait -lui aussi- sur mesure, pour le mettre pleinement à l'honneur. Son investissement est tel qu’il lui semble falloir plusieurs secondes pour revenir de ses propres émotions, au-delà des chaleureux applaudissements (d’ailleurs un peu trop précoces pour savourer jusqu’au bout les morceaux).
Soucieux du protocole, l'Orchestre de l’Opéra Royal de Versailles fait son entrée avec la Marche pour la cérémonie des Turcs de Lully, d’abord par le clavecin seul pour initier une attitude d’écoute attentive. Sous la direction du très actif Stefan Plewniak depuis son violon, les musiciens ne manquent pas non plus d’une énergie enflammée, proposant une interprétation pleine de reliefs, de contrastes et de surprises, même s’ils se montrent d’attentifs accompagnateurs, bien présents. L’exultation des mouvements alertes n’empêche pas de caressantes couleurs, notamment dans la Sinfonia al Santo sepolcro de Vivaldi. Le public a aussi droit à l’insolite et géniale Battalia de Biber, étonnante œuvre du Baroque alliant effets instrumentaux et hétérophonie avant l’heure (juxtaposition de chansons à boire, col legno, pizz Bartók : avec le bois de l'archet et en pinçant les cordes au point de les faire claquer,…).
L’enthousiasme est tel que le public se lève pour saluer les artistes. Samuel Mariño le remercie alors de sa fluette voix parlée avec un éloge à la différence et à l’amour, partageant son plaisir d’être de nouveau ici au milieu de « la famille de Versailles » et de pouvoir rendre les gens heureux. En bis, il offre un très touchant "Somewhere " du West Side Story de Bernstein, et l’orchestre entonne la "Danse des sauvages" des Indes galantes de Rameau.