Atys à Avignon, ou l'histoire musicale en Lumières
Atys tient une place essentielle dans l'histoire de l'art, d'hier et d'aujourd'hui : au sein du répertoire historique de la "tragédie lyrique" (genre qui réunit Lully et Quinault en mariant théâtre en musique et danse) mais également pour sa résurrection en 1987 par William Christie et Jean-Marie Villégier après deux siècles et demi de sommeil. Une page historique donc, et c'est une nouvelle page de cet acabit que souhaite écrire le Centre de Musique Baroque de Versailles, grâce à de profondes études musicologiques. La version historiquement très informée propose ainsi un résultat si originel qu'il en paraît inhabituel : les vents sont hissés avec les chanteurs et danseurs sur la scène (les Vingt-Quatre Violons du Roi restant dans la fosse).
Les vents ont ainsi une présence importante dans l’action et produisent un son très enveloppant. D'autant que l’ensemble musical Les Ambassadeurs ~ La Grande Ecurie est dirigé par Alexis Kossenko avec un grand dynamisme, tant et si bien qu’il attire souvent les regards des spectateurs. Les instrumentistes également le suivent avec attention et produisent un son riche en nuances.
Le ballet de l’Opéra Grand Avignon, dirigé par le chorégraphe Victor Duclos, prend en charge l’expression théâtrale dans cette version concertante, avec charme mais manquant parfois de coordination et d’homogénéité dans leur souplesse et leur implication. Ils vont même jusqu’à descendre du plateau pour danser aux côtés du public, au niveau de la fosse et au premier balcon. Leurs costumes, réalisés par l’Atelier de l’Opéra Grand Avignon, sont très colorés et brillants.
Les Chœurs, composés par les pages et les chantres du CMBV, bien distincts les uns des autres, dirigés par Fabien Armengaud, accompagnent les solistes depuis le fond de la scène avec un son très homogène et un travail de diction patent. La prononciation a été réexaminée en vue de la déclamation (sans toutefois revenir à une prononciation d’époque). Les ornements ont été triés sur le volet, pour homogénéiser la dramaturgie.
Toutefois, cette production reste loin des fastes de l'Ancien Régime, et c'est une version concertante qui est présentée, mais scénographiée de l'embellissement des lumières de Pierre Daubigny, costumée et surtout dansée.
Atys, le berger épris de la nymphe Sangaride, est interprété par le ténor Mathias Vidal d'une voix claire et sonore, mais élégante, très ronde. Bien projeté et accentué, il s’appuie sur un vibrato bien marqué pour déployer ses nuances avec expressivité vocale et grand investissement scénique.
Amoureuse d’Atys et jalouse de Sangaride, la déesse Cybèle est incarnée par la soprano Véronique Gens. Elle attire d’emblée le regard du public grâce à sa robe rouge écarlate dans le fond noir du plateau, mais aussi par sa voix ronde et légèrement métallique, accompagnée d’un vibrato très stable et appuyée dès ses débuts (et fins) de phrases bien soignés. Sa présence sur scène est sobre, mais intense, et son interprétation touchante déborde d’élégance. Même si la diction des chanteurs est très bonne d'une manière générale, elle se démarque par un texte on ne peut plus clair, facilitant la compréhension.
Amoureuse d’Atys, mais promise au roi Célénus, Sangaride est interprétée par la soprano Sandrine Piau. Elle prête à la nymphe, fille du fleuve Sangar, sa voix cristalline et nuancée. À l’instar de sa collègue, elle fait preuve d’élégance et d’une belle présence sur scène. Son expression est toujours gracieuse, avec des phrases délicatement menées et un vibrato très présent.
Le roi de Phrygie, Célénus, prend la voix du baryton grec Tassis Christoyannis, impressionnante dès sa première intervention grâce à sa projection et à son imposante présence vocale. La clarté s'allie à la chaleur avec des graves assurés qui inspirent le respect de la dignité de son personnage.
La soprano Hasnaa Bennani interprète Doris, confidente de la nymphe Sangaride avec une voix large au timbre soyeux. Son frère Idas, ami d’Atys, est interprété par le baryton-basse Adrien Fournaison (interprétant Phobétor également) avec une voix charnue et caverneuse : un timbre tout à fait reconnaissable dans les ensembles. Sa voix résonne avec puissance dans la salle, sur des médiums et des aigus très sonores et des graves ronds et chauds.
La mezzo-soprano Éléonore Pancrazi interprète Melpomène, et Mélisse, confidente de Cybèle. Dans le prologue, elle propose une voix chaude et veloutée, avec des graves sombres. Puis en Mélisse, elle monte en registre avec rondeur lumineuse.
Le baryton David Witczak interprète trois personnages : le Temps (dans le prologue), un Songe funeste et le fleuve Sangar. Sa voix charnue est bien accentuée, mais avec des graves qui se perdent par moments dans la masse sonore.
Le ténor Antonin Rondepierre, dans les rôles de Morphée, d’un Zéphyr et d’un Dieu du Fleuve, a une voix claire et légère, voûtée et nuancée. Dans les rôles du Sommeil et d’un des Dieux du Fleuve, le ténor Carlos Rafael Porto propose une voix brillante et légère, très appropriée pour le répertoire baroque, avec des débuts et des fins de phrases bien soignés.
En Phantase, le ténor François-Olivier Jean se démarque de ses collègues par la suavité et la légèreté de son timbre, ainsi que par la maîtrise de son instrument.
La soprano Marine Lafdal-Franc interprète Iris (et une divinité de fontaine) d’une voix large bien projetée et expressive. Enfin, la soprano Virginie Thomas interprète Flore (et une divinité de fontaine) d’une voix suave et charnue, avec une bonne projection.
Le public, ayant apprécié un tel déploiement de talent musical et artistique, et historique et de bon goût, remercie les artistes pendant de longues minutes et semble même demander, debout pour certains, un bis.