La Walkyrie à l’Opéra National de Grèce : Walhalla sur Acropole en open-space
Les Dieux du Nord chez les Hellènes
La mythologie nordique, comme celle des grecs, a pour caractéristique de mêler les Dieux et les humains, ces derniers pouvant être divinisés, ou issus de divinités, et les Dieux ayant des comportements terriblement humains (ils n'en sont in fine que les reflets, comme dans presque tous les mythes) : en termes de sentiments, d’actions, de comportements, justes ou injustes, timorés ou excessifs… Cette dimension universelle et intemporelle du lien entre les Dieux et les hommes se traduit dans la mise en scène de John Fulljames, qui présente Wotan comme une sorte de chef d’entreprise de type réseaux sociaux. Omnipotent (dans un premier temps), il gère le monde avant d’y intervenir.
La scène, pensée par Tom Scutt, figure ainsi une sorte d’open space modulable, où œuvrent Wotan et ses collaborateurs (figurants) et ses collaboratrices (les futures Walkyries), sur quelques bureaux épars. L’espace est délimité par de grands panneaux mobiles, porteurs de néons dont les lumières et éclats lumineux ponctueront l’action. Au centre, une structure mobile aussi, comme une « scène dans la scène », un grand escalier qui accueille et porte l’essentiel de l’action, de face, de profil ou vu par l’arrière, montrant au premier acte l’intérieur de la maison où vit Sieglinde. Cet escalier accueillera les moments forts, dans ce dispositif éclairant, d'autant que les lumières de D. M. Wood redéfinissent les espaces selon les intensités dramatiques en jeu. La direction d’acteurs est travaillée, chacun ayant à cœur d’incarner efficacement son rôle.
Le parti-pris tient tout au long des deux premiers actes, où Wotan, toujours présent et se déplaçant, observe la scène (la maison de Sieglinde et Hunding où va paraître Siegmund, puis, à l’acte 2, Fricka comme dans son lieu de travail). Le staff de l’entreprise, se déploie discrètement alentour, comme un décor voulant poser cette image d’open space et d’un chef d’entreprise tout puissant.
Sieglinde, Hunding et Siegmund, sont des gens modestes, portant des vêtements modernes passe-partout, là encore dans cette idée d’universalité contemporaine. En revanche, Brünnhilde est d’emblée en Walkyrie selon l'imagerie nordique des vikings, tandis que ses collaboratrices le sont en partie... sur le chemin qui mène donc d'employées de bureau à Walkyrie (la métamorphose étant accomplie avec leur fameux Hojotoho!).
L’Orchestre imposant par sa masse sonore se déploie dans cette grande salle avec l'énergique direction de Roland Kluttig. Le chef sait prendre en charge cette longue prose musicale où les voix viennent s’insérer au fil de l’eau. Il sculpte la matière sonore avec raffinement et une grande palette dynamique, du pianissimo au fortissimo, par des couleurs riches et lyriques. L’orchestre viendra d’ailleurs à la fin saluer sur scène, et recevoir une ovation méritée.
Les chanteurs et chanteuses, toutes et tous très impliqués assument avec un enthousiasme visible et une ardeur manifeste ces rôles parfois écrasants par leur ampleur.
Sept des huit Walkyries ont été choisies parmi de jeunes chanteuses lyriques grecques. Chacune manifeste une implication théâtrale sans faille, mais un manque de volume rendant d'autant plus saisissante par comparaison (et même toutes réunies) l'entrée fracassante de Brünnhilde.
Leurs qualités vocales intrinsèques sont sinon durcies lorsque la barrière de l’effectif orchestral wagnérien les mène à pousser les voix. Violetta Lousta dessine cependant un soprano léger en Gerhilde, Katherina Sandmeier un soprano lumineux pour Helmwige, Taxiarchoula Kanati une Ortlinde à l'abattage notable, Nefeli Kotseli un mezzo clair mais un peu plus corsée au service de Waltraute, Chrysanthi Spitadi un mezzo à la voix de format réduit mais à la présence efficace en Schwertleite, de même que pour Anna Tselika en Grimgerde et la mezzo Dimitra Kalaitzi-Tilikidou en Siegrune, tandis que Fotini Athanassaki (Roßweiße) est mezzo soprano lyrico légère, un peu plus large donc que ses compagnes.
Marina Prudenskaya incarne Fricka en femme puissante et vindicative, avec une voix de mezzo ample comme il se doit dans ce style, d'une bonne étendue, dans une projection un peu postérieure. La ligne manque toutefois de précision et de couleurs mais les intentions sont manifestées avec efficacité, avec toute l’autorité qui sied au personnage.
Petros Magoulas incarne pleinement Hunding sur le plan théâtral, mais également lyriquement avec une voix de basse longue, profonde, très sonore de part en part, et bien projetée. Il installe la veulerie du personnage en mettant toute la noirceur possible dans sa voix, et même du métal pour humilier sa femme, contrastant avec des effets de bravoure pour se confronter à Siegmund.
Allison Oakes incarne Sieglinde avec conviction, d'un soprano sombre, plutôt sonore, malgré un léger déficit du bas medium. La projection, là aussi un peu postérieure, est compensée par le volume sonore. La voix sied finalement avec justesse au retrait du personnage et elle se fait d'autant plus touchante dans les moments d’effusion avec Siegmund, ou devant la dureté du sort.
Stefan Vinke prête à Siegmund sa voix de Heldentenor, puissante, étendue et très sonore y compris dans des graves peu fréquents pour cette voix. La projection est constante et les aigus saisissants, le tout au service de ce personnage torturé, sacrifié par son père, et dont la promesse de Bonheur aura fait long feu. Il est très touchant par ses inflexions tendres envers Sieglinde et très efficace dans l’énergie qu’il déploie dans son combat avec Hunding.
Tommi Hakala incarne Wotan avec une présence aussi intense que constante dans cette production. La prononciation allemande est parfois un peu improbable mais les graves sont de qualité, l’aigu à peine terni. Cependant son chant est couvert par les intenses moments orchestraux, en particulier lorsque le personnage doit déployer amplement son autorité et sa puissance.
Habituée du rôle de Brünnhilde, Catherine Foster impressionne, tant par sa présence d'actrice que par l’ampleur de sa voix, pleinement calibrée pour le rôle (ce qui rend plus touchants encore les moments où, brisant l’armure, elle laisse libre cours à sa compassion envers Siegmund et Sieglinde, et à sa tendresse filiale envers son père Wotan). La voix est large, longue, riche dès le pianissimo et jusqu'aux pleins fortissimi jamais tonitruants.
Cette production aura su enthousiasmer le public athénien, qui lui réserve une ovation de longue durée.