Lohengrin placé sous la Constellation du Cygne à l’Opéra national du Rhin
Durant le Prélude, la toute jeune Elsa -placée devant le rideau de scène- observe ici avec un grand télescope la brillante Constellation du Cygne et ses étoiles disposées en forme de croix. Un peu à la manière de Senta dans Le Vaisseau fantôme, elle parcourt les pages d’un livre qui semble comme l’enivrer. Son jeune frère Gottfried et les amis de ce dernier ne portent qu’un intérêt minime aux exaltations d’Elsa et se dispersent rapidement. Cette dernière reste seule avec ses rêves et ses aspirations intimes.
Le premier acte voit alors Elsa devenue jeune femme en proie désormais aux réalités du monde et à ses diffamations. Florent Siaud et ses collaborateurs -Romain Fabre pour les décors, Jean-Daniel Vuillermoz pour les costumes rattachés pour la plupart au monde actuel en déclinaison de bleus et de noirs, Nicolas Descoteaux pour les lumières et Eric Maniengui pour les vidéos qui alignent des gros plans de chanteurs-, ont choisi d’évoquer les anciennes cités démocratiques grecques, ici quelque peu réduites à l’état de ruine.
La référence aux lectures sur la Grèce Classique de Richard Wagner durant la composition de l’ouvrage, et les influences subies apparaissent de fait patentes. Une frise à l’antique domine le décor du premier acte tandis que la statue de la Vénus de Milo s’inscrit dans la géométrie globale de l’acte 3. Le deuxième acte pour sa part voit le clan du paganisme constitué d’Ortrud et de Telramund en chefs de file continuer à ourdir des plans machiavéliques au sein d’un décor sombre et lugubre, dominé par plusieurs pendus, et s’étendant aux pieds du balcon d’Elsa. Avec leur pauvre valise et leurs dépouilles, ils apparaissent comme certes affaiblis, mais pas encore totalement vaincus.
Florent Siaud offre une ainsi vision calibrée de l’ouvrage, finalement raisonnable de forme et de ton, comportant de fort beaux moments esthétiques, mais aussi quelques longueurs notamment ressenties lors du duo terrible Elsa/Ortrud de l’acte II statique et manquant de puissance expressive. Les déplacements des différents protagonistes mais aussi des chœurs apparaissent maîtrisés et bien étudiés au détriment toutefois des circonvolutions du drame qui se joue.
Le grand mérite de ce spectacle est d’offrir au spectateur des clés immédiatement identifiables, en s’appuyant délibérément sur le texte et la musique de Wagner sans chercher à dériver outre mesure. Florent Siaud accentue pour autant le côté mystique du personnage de Lohengrin, sorte de moine-guerrier venu sur terre certes par amour, mais aussi pour élever les âmes.
La prestation de Michael Spyres s’imprègne de cette approche, offrant une vision presque rédemptrice de Lohengrin. La voix dans toute sa clarté et sa luminosité accentue cette impression. Dominant avec une aisance confondante toute la tessiture du rôle, Michael Spyres fait valoir pour cette prise de rôle une voix éclatante jusque dans les aigus les plus appuyés et d’une remarquable longueur, avec un soin presque éperdu accordé au legato et au phrasé. Le troisième acte notamment emporte l’auditeur vers les nuages, tant son interprétation du Chevalier au cygne bouleverse par sa plénitude tant vocale qu’émotionnelle. Le récit du Graal atteint avec lui une dimension presque ésotérique !
À ses côtés, Johanni van Oostrum, déjà entendu dans le rôle d’Elsa à l’Opéra Bastille en septembre et octobre dernier, fait entendre une voix de soprano attachante, peu ronde toutefois. Comme à Paris, un voile léger semble recouvrir le timbre et les aigus forte souffrent d’une sorte de rupture avec le reste de la voix. Le personnage incarné s’avère pour sa part sensible et justement exalté.
Après une carrière déjà longue consacrée aux rôles les plus escarpés du répertoire, Martina Serafin -qui remplaçait un peu en dernière minute Anaïk Morel malheureusement souffrante- semble maintenant se diriger vers les rôles de caractère comme celui d’Ortrud abordé tout dernièrement à l’Opéra d’Amsterdam. Si le personnage s’avère parfaitement caractérisé dans ses basses manœuvres ou ses aspects vipérins, la voix toujours sonore fait désormais valoir un vibrato trop souvent accentué et des aigus par trop stridents, sinon proches du cri.
Avec des moyens très solides et toute la noirceur attendue, le baryton-basse Josef Wagner campe un Telramund fort convaincu, totalement manipulé par son épouse Ortrud au même titre qu’un autre ambitieux, Macbeth.
Timo Riihonen possède toutes les caractéristiques des basses issues du nord de l’Europe -ici la Finlande- pour incarner un Heinrich der Vogler imposant : forte projection de la voix en salle, caractérisation complète du personnage, couleurs sombres et d’une profondeur insigne.
Dans la partie somme toute importante réservée au Hérault, Edwin Fardini fait merveille. Sa voix de baryton affirmée et dotée d’un timbre mordoré, longue et autoritaire, donne tout son caractère à ce personnage qu’il aborde pour la première fois.
Les interventions des Nobles et des Dames brabançons ont été confiées avec pertinence à des artistes issus du Chœur de l’Opéra National du Rhin tous très en place. Ce dernier-renforcé par le Chœur d'Angers-Nantes Opéra et guidés par Hendrik Haas et Xavier Ribes leur chef respectif-, fait preuve d’une cohésion et d’une efficacité dramatique qui rend pleinement justice aux parties exigeantes dévolues aux phalanges chorales par Richard Wagner.
Dès le prélude abordé en un jeu subtil et comme en état d’apesanteur par un orchestre superlatif, celui de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, la messe est dite. Aziz Shokhakimov dirige Lohengrin avec générosité et une théâtralité de chaque instant, tout en assumant les côtés grand opéra de cette partition et de cet ouvrage encore romantique, situé à la croisée des chemins pour le compositeur allemand.
Un triomphe unanime et sans réserve vient saluer ce Lohengrin de classe.