Pulcinella/L’Heure espagnole : drôle d’oiseau à l’Opéra Comique
Lorsque Louis Langrée découvre que l’Opéra Comique qu’il dirige était jadis un haut lieu de création chorégraphique, il décide de programmer un diptyque réunissant danse et opéra : ce drôle d’oiseau scénique assemble ainsi Pulcinella de Stravinsky et L'Heure espagnole de Ravel, respectivement créés en 1920 et 1911. Les deux compositeurs se sont rencontrés en juin 1910 à l’occasion de la création de L’Oiseau de feu du premier à l’Opéra de Paris. En découla une longue amitié.
Louis Langrée dirige lui-même l’Orchestre des Champs-Élysées qui joue sur des instruments de l’époque de composition des deux œuvres. Stravinsky construit l’orchestration de Pulcinella, inspiré de la Commedia dell’arte, comme une adaptation de morceaux de Pergolèse (1710-1736). En découle une sonorité baroque dans laquelle pointe un léger accent britannique et la modernité musicale qui appelle déjà The Rake's Progress. L’épaisseur du son se met au service de l’éloquence comique de Ravel dans le second opus.
Le metteur en scène Guillaume Gallienne tisse un pont entre les deux œuvres montrant deux victimes de leur force séductrice (l’un parce qu’il s’attire des jalousies, l’autre parce qu’elle ne parvient pas à trouver un amant à la hauteur), à travers un élément de décor unique (mais complété pour la seconde partie) imaginé par Sylvie Olivé : une tour dans laquelle un escalier semblant monter à l’infini se niche, rappelant à la fois les univers visuels de Maurits Cornelis Escher et du film de Paul Grimault, Le Roi et l’Oiseau (encore un !), sorti en 1953.
S’il explore la mécanique des obsessions des protagonistes d’un œil vif dans le second opus, il laisse d’abord la part belle, sans demeurer oisif, aux chorégraphies classiques et gracieuses de Clairemarie Osta, qui cherchent à montrer que Pulcinella (Polichinelle) est un libérateur. Six danseurs (Oscar Salomonsson voltige en Polichinelle, Alice Renavand en Pimpinella, les deux séductrices Manon Dubourdeaux et Anna Guillermin, et leurs deux amants Iván Delgado et Stoyan Zmarzlik) y œuvrent avec sensibilité et synchronicité dans les costumes modernes signés Olivier Bériot qui scellent l’élégance des personnages dont l'œil retient notamment le chapeau-melon de Pulcinella et la robe banche de sa fiancée (qui affiche en permanence un sourire radieux).
Le ballet est ponctué de pièces chantées empruntées à Pergolèse, sans lien avec l’intrigue (et qui ne sont donc pas surtitrées) interprétées par un trio assorti. La soprano Camille Chopin dispose d’une voix ancrée dans les graves, au timbre épais, moelleux et coloré, mais manquant de stabilité. Le ténor sombre d’Abel Zamora se révèle dans les aigus brillants et vaillants. Malgré un souffle long, il peut encore gagner en précision dans ses phrasés. La basse François Lis savonne ses vocalises, mais projette des graves profonds et voluptueux, aux belles résonnances.
Dans le second opus, Stéphanie d’Oustrac incarne Concepción jusqu’au bout des ongles en fausse ingénue, avec l’esprit gaulois qui caractérise le rôle (et qu’elle avait déjà exploré dans l’album Mon Amant de Saint-Jean). Sa voix au timbre pourpre descend dans d’impressionnants graves veloutés, au vibrato rond.
Le créateur du rôle de Ramiro fut aussi celui de Pelléas (Jean Périer), et Jean-Sébastien Bou de nos jours, est à son aise dans les deux rôles. Il crée ici une complicité avec le public qu’il prend régulièrement à témoin de sa maladresse ou de ses succès. Théâtral et volontiers gauche dans sa démarche, il ne s’en appuie pas moins sur une voix mâle et mate, capable d’être douce ou tonnante selon les situations.
Benoît Rameau brille en Gonzalve par ses élans lyriques bien émis, parfois légèrement tendus dans l’aigu. Son timbre fleuri et sa diction soignée correspondent bien au personnage de poète rêveur. Philippe Talbot s’amuse en Torquemada, exposant avec conviction sa voix claire à l’aigu lumineux, ainsi qu’une précision d’horloger dans sa scansion. En Don Iñigo Gomez, Nicolas Cavallier prête au financier un phrasé soigné, ainsi qu’un timbre mordoré et bien couvert, projeté avec dynamisme jusque dans des graves profonds.
Le public marque son contentement à l’issue de chacune des deux parties, Stéphanie d’Oustrac se taillant la part du lion à l’applaudimètre.