Les Brigands à l'Avant-Scène Opéra
Sur un livret totalement rocambolesque d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy, Jacques Offenbach s’est attaqué au mythe du bandit romantique de grand chemin, à la mode tout au long du XIXe siècle (tant au théâtre que sur les scènes lyriques) : un mythe ici analysé par Giulio Tatasciore.
Si le chef des bandits, Falsacappa, et sa bande de joyeux compagnons ne suscitent guère l’effroi, ils ne cessent par contre d’engendrer un rire communicatif porté par la musique pétillante et pleine d’esprit du compositeur ainsi que par l’invraisemblance du livret en trois actes où les dialogues parlés s’avèrent compter tout autant que les parties chantées.
L’Avant-Scène Opéra s’appuie pour cette nouvelle publication sur les éditions critiques des versions de 1869 et 1878 élaborées par un musicologue passionné, éminent spécialiste des ouvrages du compositeur : Jean-Christophe Keck. Ce dernier retrace la genèse de l’ouvrage, complexe (certes, moins que pour d’autres œuvres du compositeur) et les pièges musicologiques (versions, variantes, plus ou moins fautives) qu’il convient d’éviter.
Comme le souligne Stéphan Etcharry au sein du guide d’écoute, Les Brigands représentent rien moins que la quatrième production lyrique présentée par l’infatigable Offenbach en cette seule année 1869 ! L'ouvrage est ainsi créé à Paris au Théâtre des Variétés 10 décembre (après Vert-Vert destiné au Théâtre de l’Opéra Comique, La Diva et La Princesse de Trébizonde aux Bouffes-Parisiens, ce dernier opéra-bouffe se trouvant dévoilé au public parisien trois jours seulement avant Les Brigands).
Pauline Girard retrace dans ce numéro le riche et chaotique historique du parcours artistique du compositeur dans les théâtres parisiens, depuis les Bouffes-Parisiens, le Théâtre des Variétés et cette salle de l’Opéra Comique qui n’a pas su reconnaître son génie (ou bien trop tardivement avec Les Contes d'Hoffmann créés après la disparition du compositeur).
Les Brigands, vaste parodie du style opéra-comique en vogue, ne cesse de dénoncer avec humour et gaieté les travers et les conventions du genre. Les numéros musicaux particulièrement colorés et portant en soi une inspiration toute espagnole, depuis l’ouverture en forme de pot-pourri jusqu’à ce fameux chœur des brigands si entêtant ("J’entends un bruit de bottes") en portent témoignage.
Les airs ravissants confiés à la soprano Fiorella, fille de Falsacappa et à Fragoletto (rôle travesti pour mezzo-soprano) offrent une fraîcheur d’inspiration toute nouvelle.
Jean-Claude Yon, biographe incontournable d’Offenbach, s’intéresse pour sa part et justement aux aspects parodiques des Brigands, mais aussi à ceux plus sombres et frisant l’amoralité qu’ils véhiculent en parallèle. Jonathan Parisi développe un article fort intéressant sur cet âge d’or du jeu comique sur les scènes théâtrales qui s’appuyait alors sur les chanteurs/acteurs rompus au genre de la tradition, mais aussi parfaitement capables d’improviser en fonction de l’actualité.
Xavier Mauduit, en fin connaisseur, expose les enjeux de la satire sociale que l’ouvrage développe en cette fin de Second Empire (exsangue à l’image de Napoléon III lui-même, terrassé par la maladie).
Une disco-vidéographie (compilée par Louis Bilodeau) complète comme à l’habitude ce numéro très complet qui présente aussi les productions des Brigands à la scène depuis la création.
L’Opéra de Paris a déjà porté à la scène Les Brigands, en 1993/94, mais alors à l’Opéra Bastille dans une mise en scène savoureuse de Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff dirigée en alternance par Louis Langrée et Emmanuel Joël. Michel Sénéchal incarnait alors avec toute sa faconde naturelle le brigand Falsacappa et Michèle Lagrange sa fille Fiorella.
La nouvelle production de l’Opéra national de Paris a été confiée aux bons soins de Barrie Kosky avec Stefano Montanari au pupitre pour les représentations de septembre et octobre 2024, Michele Spotti lui succédant pour la reprise de juin/juillet 2025.
Le ténor néerlandais Marcel Beekman fera ses débuts sur la scène du Palais Garnier dans le rôle de Falsacappa avec à ses côtés, entre autres, Marie Perbost (Fiorella), Antoinette Dennefeld (Fragoletto), Mathias Vidal (Le Duc de Mantoue), Philippe Talbot (Le Comte de Gloria-Cassis).
Une soirée réjouissante en perspective (comptes-rendus à suivre sur Ôlyrix et Classykêo)…