L’Enfant et les Sortilèges au CNSM, “un jardin extraordinaire”
Assister au projet lyrique annuel du CNSMD (Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris) c’est comme se promener dans une pépinière, découvrir de jeunes pousses prometteuses auprès desquelles nombreux jardiniers et jardinières ont veillé (les chefs des départements des disciplines vocales, instrumentales classiques et contemporaines, de musicologie et d’analyse, la cheffe de chant, la professeure de diction, de direction de chant, de méthodologie et théorie de la musicologie...).
Ce jardin (a fortiori observé par un public comptant nombre de professionnels), à l’instar de celui de l'œuvre, peut être effrayant pour certains jeunes chanteurs, dont parfois la respiration se bloque et les gestes se tétanisent. Mais pour la majeure partie d’entre eux, le jardin semble un terrain idéal pour aborder le métier de musiciens dans ses multiples composantes : il en ressort un bonheur de chanter et de jouer ensemble.
Le jeu est grandement favorisé par la mise en scène et la scénographie de Sandra Pocceschi et Giacomo Strada, tous deux ayant déjà travaillé pour ce même opus avec des jeunes musiciens en 2015 dans le cadre d’Opéra Junior à Montpellier. Ils recréent l’univers de l’enfance à l’aide d’un unique élément de décor, soit un mur, duquel vont se détacher différents objets (pendule, miroir…) façon puzzle silhouette pour les petits (les lumières subtiles de Matteo Bambi sublimant l’ensemble). Ils livrent ainsi leur interprétation de l'œuvre au cours de scènes alternant humour, tendresse et poésie, mais sans édulcorer la violence de certaines situations.
Ainsi, l’enfant apparaît-il tout d’abord dans tout son mal-être, se scarifiant les mains au porte-plume avant de laisser éclater sa rage destructrice après avoir été puni par sa maman. La maman, bien qu’ayant un rôle très court, est cependant omniprésente et tous (chanteuses et chanteurs), dans la première partie, revêtent son même costume (une jupe orange, un chemisier blanc, des talons hauts et des faux seins pour les hommes).
Les sortilèges déclenchés par ses actes destructeurs vont permettre à l’enfant une prise de conscience et un possible détachement d’avec la mère. Ce détachement est joué littéralement lorsqu’après son geste réparateur, l’enfant est libéré par les animaux du jardin des liens qui le retenaient prisonnier. La note d’intention de Sandra Pocceschi explique ainsi que « son odyssée l’émancipera aussi du giron familial, de l’univers carcan de la mère permettant l’émergence d’une identité propre ». Ce parcours initiatique aboutit à une réconciliation emplie de gratitude : l’enfant tourne le tableau révélant une page d’écriture sur le mot « maman ».
La version retenue est l’arrangement de Didier Puntos pour quatre instrumentistes (piano à quatre mains, flûte et violoncelle), une commande qui lui avait été faite par l’Atelier lyrique de l’Opéra de Lyon en 1989. Si, dans un premier temps, la richesse orchestrale de Ravel semble manquer, le travail de Didier Puntos, inspiré de deux œuvres du maître (Les Chansons Madécasses pour flûte, violoncelle, piano et voix, et la version pour piano à quatre mains de Ma mère l’Oye), restitue cependant les différentes dynamiques de l’œuvre. Maxime Grizard au violoncelle, Alexane Faye à la flûte, Ayano Kamei et Flore-Elise Capelier au piano (également cheffes de chant pour cette production) exécutent savamment cette partie instrumentale.
La formation de chambre implique également l’absence de chef pour indiquer les départs aux chanteurs, développant ainsi leur autonomie et leur écoute fine.
Dans le rôle de l’Enfant, Flore Royer est convaincue aussi bien vocalement que scéniquement. Engagée sans réserve dans le jeu théâtral, sa diction est irréprochable et son timbre parvient précis et brillant.
Madeleine Bazola-Minori prête sa voix ronde et définie, ornée d’une vibration chaleureuse aux rôles de la Mère, de la Tasse chinoise, de la Libellule et du Pâtre, tandis que Margaux Loire assume le lyrisme de l’Écureuil, la volupté de la Chatte et fait rire en Bergère.
Félix Merle enracine sa voix assurément pour interpréter le Fauteuil et l’Arbre, son timbre homogène se déployant dans toute sa splendeur.
Tsanta Ratianarinaivo s’en donne à cœur joie dans le rôle de la théière et l’arithmétique, sa voix est percutante et ses aigus projetés aisément même lorsqu’il convoque le registre de tête.
Si ses débuts en Princesse demeurent quelque peu timides, Marie Ranvier fait montre d’une grande délicatesse vocale et elle prend réellement son envol en Chauve-souris.
Anne-Laure Hulin projette le Feu vivement sans cependant rendre toute la précision des vocalises. Les suraigus du Rossignol impressionnent de netteté mais son élocution demeure imprécise dans les rôles de la Pastourelle et de la Chouette.
Paul-Louis Barlet est quelque peu emprunté lorsqu’il incarne l’Horloge, sa voix ne parvenant pas à se libérer. Il se révèle cependant pleinement dans le rôle du Chat, sa voix s’accrochant précisément et avec humour dans le miaulement.
La prestation de Jean Gloire Nzola Ntima est aussi brève que remarquée dans les quelques mesures accordées à la Reinette par son investissement.
Les (seulement) quarante-cinq minutes de l’œuvre, ayant invité le public à un voyage sensoriel riche et émouvant, les sortilèges de Colette et Ravel font encore mouche auprès de l’auditoire venu découvrir les talents de demain.