Lakmé tout en dentelle et en papier de riz au cinéma
Pour pleinement profiter de ce compte-rendu, retrouvez notre présentation du contexte de création de Lakmé sur sa page dédiée
Laurent Pelly, loin de vouloir reproduire les fastes de la scénographie d’origine à la Salle Favart en 1883 (le décor avait couté 80.000 francs de l’époque), tourne ici le dos à cet Orient fantasmé, fait de temples monumentaux, de jungle tropicale touffue et de fumées d’encens voluptueuses. Pelly se tourne résolument vers une épure bienvenue et très aboutie esthétiquement, issue des influences du théâtre Kabuki, Nô et Bunraku, nichant les scènes dans des superpositions de papiers de riz translucides, dans des tons crème et écrus, loin des saris scintillants ou des couronnes de jasmin superposées : des jeux subtils de lampes en papier, de théâtre d’ombres et de toiles transparentes et légères comme de la dentelle. La scénographie poétique délectable de Camille Dugas, rehaussée par les lumières douces savamment découpées de Joël Adam, viennent compléter cet univers féérique qui se marie élégamment à la légèreté de l’orchestration de Delibes.
Raphaël Pichon semble se régaler au pupitre, pourtant en dehors de sa zone de confort baroque habituelle, faisant sonner l’orchestre (sur instruments d’époque) et le chœur de son Ensemble Pygmalion d’un son ample et romantique insoupçonné, avec des envolées revigorantes et une épaisseur de ligne dans les grands ensembles qui fait mouche. Il le fait tout en allégeant les passages orchestraux les plus lourds, dévoilant une ossature magnifiée, et en donnant aux scènes bouffes des colons anglais une cocasserie pétillante et savoureuse.
Guillaume Guttiérrez, François-Olivier Jean et René Ramos Premier assument avec précision et facétie leurs courtes interventions de la scène du marché. Mireille Delunsch campe une Mistress Bentson de luxe, avec un médium ample et cuivré, la Rose de Marielou Jacquard convainc par l’ancrage et la largeur de son médium, tandis qu’Elisabeth Boudreault incarne une Ellen naïve et touchante, grâce à une articulation légère et des phrasés émouvants.
François Rougier signe un serment d’Hadji poignant, avec des aigus joliment mixés et un médium suave. Philippe Estèphe est un Frédéric crédible, jouant l’ambivalence du personnage avec un timbre frais et corsé, une émission franche et une belle ligne homogène.
Ambroisine Bré délivre une composition impeccable en Mallika, de par la clarté de son émission, la finesse de ses phrases, la rondeur de ses harmoniques qui font merveille dans le Duo des fleurs tant attendu.
Le Nilakantha de Stéphane Degout est également luxueux. Le baryton français déploie la noirceur de son médium généreux avec une facilité exemplaire, et une diction toujours soignée, faisant résonner les grands aigus du rôle dans les voutes de l’Opéra Comique et les enceintes du cinéma avec prestance. Il donne au Brahmane une complexité louable, quand beaucoup l’auraient cantonné au méchant obtus et aveuglé de haine, tandis qu’il réussit à en faire un père aimant également, par des phrasés construits et généreux.
La voix de Frédéric Antoun s’est élargie et épaissie, alors qu’il faut pour gérer le rôle assez écrasant de Gérald, non pas un Hoffmann ou un Don José mais un Nadir à la ligne ultra-souple et à la quinte aiguë souveraine. De fait, les grands épanchements dans les deux airs sont poussés et il force le trait avec un peu de maladresse, trahissant quelques soucis de soutien dès que la tessiture devient trop tendue, compensant cependant par une présence dramatique, une volonté de bien harmoniser son timbre avec celui de son amante, offrant ainsi quelques moments de grâce.
Sabine Devieilhe, quant à elle, survole le rôle-titre, pourtant très exigeant, avec une grâce et une implication renouvelées depuis sa prise de rôle en 2014. Le médium est plus corsé et le focus plus soutenu qu’auparavant, mais elle déploie des messa di voce (conduites de phrasés) impeccables et une légèreté de ligne dans les vocalises qui laissent le spectateur admiratif. Ses pianissimi fragiles sont toujours soutenus et toujours au service d’une compréhension de la complexité du personnage qui transparait de manière évidente, transformant par exemple de l’air des clochettes non pas en un exercice pyrotechnique, mais en une vraie scène déchirante de théâtre.
Sa maîtrise du rôle lui vaut, comme au reste du cast, une ovation amplement méritée au rideau final.
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