Gosse de riche : les entre-deux frivoles de l’Athénée
Si, depuis Candide de Bernstein en 1956, l’opéra drôle a quasiment disparu du travail de création contemporaine (comme nous l’analysions dans notre article sur le sujet), il en était autrement dans l’entre-deux guerres. Avec Reynaldo Hahn, Henri Christiné, Maurice Yvain ou encore Marcel Lattès comme moteurs, les opérettes fleurissent, s’inspirant des musiques américaines (comme le fox-trot ou le Charleston), dans un entre-deux genres entre opéra et comédie musicale.
Deux ans après avoir monté avec succès Là-Haut de Maurice Yvain (lire notre compte-rendu), le Théâtre de l’Athénée, le metteur en scène Pascal Neyron et Les Frivolités Parisiennes (cette fois sans chef d’orchestre) proposent un nouvel opus du même compositeur créé un an plus tard, en 1924. L’intrigue est des plus complexes : avec la complicité de la Baronne Skatinkolowitz, le nouveau riche Patarin organise une villégiature à la campagne avec sa maîtresse Nane. Pour que sa femme ne s’aperçoive de rien, il lui flanque un faux-mari, Léon Mézaize. Mais voilà : sa fille Colette, une "gosse de riche" capricieuse, est décidée à épouser le peintre André Sartène, qui est lui-même l’amant de la susnommée Nane. Le vaudeville enchaîne les quiproquos et les comiques de situation ou de répétition, les bons mots et les traits d’esprits, avec des paroles toujours spirituelles, mêmes lorsqu’elles sont un peu délurées.
Pascal Neyron mise sur des décors (scénographie & lumières de Camille Duchemin) relativement simples mais efficaces, laissant sa direction d’acteurs faire le reste. Tous les interprètes de cette pièce soignent leur jeu d’acteurs, se donnant à fond jusque dans les chorégraphies imaginées par Aure Wachter, et tous se montrent attachants malgré tous les défauts de leurs personnages. Tous ont également une diction rendant leur texte compréhensible malgré la vitesse d’exécution qui prévaut parfois.
Amélie Tatti brûle les planches et fait une entrée en scène tonitruante en Colette Patarin, gardant un dynamisme à toute épreuve tout au long de la représentation avec de manifestes compétences de danseuse. Musicalement, elle s’appuie sur une voix fraiche au vibrato rond. Bien que « Gosse de riche », elle tient à elle seule la posture morale de la pièce, insistant par exemple pour que son fiancé rompe avec sa maîtresse avant de devenir son amant (quelle délicatesse !).
André Sartène prend les traits d’Aurélien Gasse, très théâtral dans sa scansion. Sa voix sombre dispose d’abord d’une émission limitée, qui s’épanouit toutefois au fur et à mesure que sa voix se chauffe. Il expose même finalement de beaux aigus de poitrine ou en voix mixte bien tenus. Sous la perruque rose de Nane, Julie Mossay ne compte pas ses efforts. Sa voix fine, pure et pincée attend elle aussi de s’échauffer pour se faire pleinement entendre.
Achille Patarin est campé par Philippe Brocard. La belle émission de son baryton charbonneux marque son autorité parentale. Ses phrasés bien menés vont de paire avec son investissement théâtral. Toujours très théâtrale également, Lara Neumann privilégie à juste titre l’impact comique au beau chant (mais hélas aussi parfois à la justesse) dans le rôle de la Femme de Patarin, « trompée après 20 ans de fidélité ». Un abat-jour sur la tête en guise de chapeau, elle adopte une attitude rappelant le style de l’actrice Isabelle Nanty, jouant de sa voix franche et épaisse.
En bigoudène (costumes de Sabine Schlemmer), Marie Lenormand déclame avec gourmandise les répliques piquantes de la truculente Baronne Skatinkolowitz, chantant ses parties d’une voix rougie au vibrato bien présent. Charles Mesrine se régale également dans son rôle de faux-mari, participant aux ensembles d’une voix riche et ferme.
Les Frivolités Parisiennes mettent également le bleu de chauffe, dépassant leur fonction dans un entre-deux artistique : non seulement ils jouent, avec vigueur et virtuosité (y compris dans la parodie de musique bretonne qui réjouit le public) et précision (malgré des ensembles contrapuntiques complexes -au point que les surtitres n’arrivent plus à suivre), mais ils remplacent les chœurs et participent même à l’action scénique épisodiquement.
Si la création contemporaine dédaigne l’opérette, le public, lui, en redemande. Les Frivolités Parisiennes l’ont bien compris et construisent leur succès sur cette tendance : « Ce que c’est commode d’être à la mode ! », ricaneraient les Patarin…