Turandot au MET, ou le succès d’un péplum de légende
Turandot de Puccini dans la mise en scène réalisée par Franco Zeffirelli en 1987 fait partie des productions historiques conservées par le MET. Le réalisateur italien avait alors utilisé pour la scène lyrique new yorkaise tout l'art neo-peplum qu’il appliquait dans les studios hollywoodiens des années 1970. La scène devient ainsi comme un studio, passant d’un temple à un autre dans une Chine mythologique extraordinaire, et parcourue par une foule de badauds (choristes ou figurants). Un choix qui surprendra agréablement les amateurs de grands "Classiques" à l'ère de la remise en question des couleurs locales. Pas franchement onirique, ce Turandot fait ainsi office de Ben-Hur pékinois, entre le pseudo-réalisme et l'extravagant.
La cheffe Oksana Lyniv propose à l'inverse une lecture tout en sobriété de la partition. Loin de céder aux élans du vérisme (réalisme italien), elle promeut une certaine clarté dans l’orchestre. Les cordes et les bois sont ainsi délicats mais c'est surtout la musicalité des cuivres qui se déploie avec une grande qualité de son, donnant ainsi du relief mais aussi de la tenue. Les percussions sont malheureusement un peu en dessous, avec plusieurs moments légèrement décalés, voire simplement manquant le style sinisant.
Le Chœur maison, qui pèche parfois dans ces grandes productions -dites- historiques et ces partitions très connues, est à l'inverse remarqué ce soir par sa qualité. La grande attention aux rythmes fait tout le caractère de sa prestation, avec diverses inspirations, tout en rondeur du côté des altos. Malheureusement, les voix des sopranos se tendent ensuite beaucoup et la phalange perd de sa présence dans la suite de l’opéra, avec des pupitres masculins qui manquent de clarté, notamment chez les basses tandis que les ténors sont souvent un peu trop discrets et manquent de puissance. Le chœur d’enfants est constitué d'un ensemble de petits officiants, produisant sur scène une image tout fait singulière. Leurs interventions hors scène sont claires et douces.
Seokjong Baek assume le rôle difficile de Calaf avec une présence constante. Son intonation précise sert les moments délicats ou plus grandioses, dont le moment de gloire qu'est le "Nessun Dorma", qu’il interprète pourtant presque un peu timidement, malgré sa projection assurée. Les couleurs de bravoure plongent aussi vers des sons caverneux.
À ses cotes, le vieux Timur est interprété par Vitalij Kowaljow. Le timbre manque de largeur malgré la conduite de voix jusqu'aux aigus, et les tenues sont variables (tandis que la présence scénique reste en retrait). L’autre sage barbu de la production, l’empereur Altoum est campé par Carlo Bosi. Ce dernier n’est pas aidé par la mise en scène, qui le fait chanter tout au fond du plateau, et le force dans une projection malaisée. Il sait pourtant transmettre les intentions effrayantes de son caractère. Ses tenues sont efficaces, l'intonation précise et claire, juste nuancée d’un léger vibrato qui, au fond, rend le personnage plus humain.
Bien que brève, l’apparition sur scène de Le Bu en mandarin marque par un style et un timbre tout en chaleur et en rondeur, jouant sur une légère gutturalité.
Outre l'exotisme exacerbé, Ping, Pang et Pong, les stars de l’acte II, affirment chacun des positions vocales singulières. Andrew Stenson, en Pong, manque beaucoup de puissance, et ses parties se perdent dans les duos ou trios. Une certaine rondeur de son chant se laisse toutefois percevoir avec son efficacité rythmique. Tony Stevenson, qui lui répond en Pang, surprend d'autant plus avec un timbre à la fois aigu et nasillard. Joo Won Kang, en Ping avec sa barbe, forme alors le juste milieu entre les deux personnages. Le baryton manque pourtant un peu de souffle et de puissance, et peine à se faire entendre, le timbre étant poussé quoiqu'avec douceur.
Leurs trois alter egos dansants, les trois masques, sont interprétés par Elliott Reiland, Ilia Pankratov et Amir Levy, qui proposent une jolie ponctuation aux costumes colorés dans la grande scène aux couleurs blanches du temple. Chez les petits rôles, Jonathan Burwell est un Prince de Perse royal, tandis qu'Arthur Lazalde joue son rôle de bourreau sans pitié, augmentant encore l’impression de grand spectacle qui se dégage de cette production.
Turandot est interprétée par Elena Pankratova. La qualité de son de la soprano est mise à mal, notamment dans des aigus poussés et tirés. Elle trouve davantage de rondeur et de chaleur à la fin de l'opéra, notamment face à Calaf, bien qu'elle ponctue ses reparties d’un vibrato constant démesuré à l'antique.
Maria D’Amato et Jasmine Muhammad font des apparitions plutôt discrètes en servantes, en fond de scène et dans la pénombre. De leur duo rond et homogène se remarque un velouté suave de la seconde, tandis que la première se distingue davantage par ses tenues.
Mais la révélation de la soirée (pour qui n'aurait pas eu connaissance des résultats du Concours Operalia 2022, ou pas encore eu l'occasion d'entendre cette voix) incarne le personnage de Liu. La jeune soprano Juliana Grigoryan fait pourtant une première intervention hésitante, le stress se lisant sur son visage pour quelques phrases un peu faibles. Mais elle se reprend immédiatement, et pour déployer une impressionnante maturité vocale, qui mêle résonnances graves tout en velouté et en rondeur avec des aigus purs et chauds, sans aucun élément superflu. Puissante, elle captive toute la salle du Met, sans jamais en rajouter scéniquement, par l'évident épanouissement de son chant se distillant et diffusant dans l'acoustique.
Le public fidèle à son habitude applaudit les chanteurs mais à la mesure de leurs performances, faisant ainsi la part belle au couple du "véritable amour", Calaf et Liu, Seokjong Baek et Juliana Grigoryan.