Les Fantasticks : Broadway sur le Rhin, en VF
The Fantasticks ayant débuté en 1960 (off-Broadway : dans l'une des relativement petites salles de cet épicentre du musical), et cette comédie musicale du librettiste Tom Jones et du compositeur Harvey Schmidt ayant tenu 42 ans à l'affiche (avec 17.162 représentations), elle détient ainsi le record mondial de longévité dans sa catégorie artistique.
"Try to remember the kind of September"
L'histoire est librement inspirée de la pièce Les Romanesques d’Edmond Rostand, elle-même condensant le Roméo et Juliette de Shakespeare, et sa source d'inspiration, le mythe de Pyrame et Thisbé version Ovide. Deux familles voisines (les Hucklebee et les Bellomy) érigent un mur entre leurs deux jardins... à ceci près que les parents sont ici bien conscients qu'une telle action ne peut que donner d'autant plus envie à leurs enfants respectifs (Matt et Luisa) de se rapprocher, le tout avec la complicité du bandit El Gallo et de ses deux ridicules acolytes, Henry Albertson et Mortimer.
C’est Alain Perroux, Directeur de l’Opéra National du Rhin (avant Genève en 2026), qui signe en personne l'adaptation en français du livret de Tom Jones, en alliant le respect de l’intrigue originale et son humour, parfois burlesque, avec les subtilités des rimes et jeux de mots de la langue de Molière. La metteuse en scène Myriam Marzouki imagine avec Margaux Folléa des décors très aisément mobiles (par les chanteurs et comédiens eux-mêmes) sur le plateau et donc aussi d'une salle à l'autre. Cette production qui fait ses débuts cet après-midi à la Comédie de Colmar poursuivra en effet sa tournée à Mulhouse, Strasbourg, Sarre-Union, Sainte-Marie-aux-Mines, Vogelgrun.
Deux serres identifient les deux jardins, avec transat, chaise et même une haute chaise en bois, comme celle des arbitres de tennis (pour mieux se voir, entre amants). Quant au fameux mur, il est dans cette œuvre personnifié ! par un comédien, acteur-régisseur-observateur silencieux mais pourtant bien central. Comme son rôle le laisse entendre, Quentin Ehret ne dit pas un mot de toute la pièce, et le fait parfaitement : ses gestes discrets ajoutent au burlesque de l’œuvre et son rôle de mur incarné, observateur des manigances des parents et des bandits, se fait ainsi essentiel.
Les deux autres comédiens sont également issus du Théâtre national de Strasbourg : Yann Del Puppo campe Henry, le vieux comédien qui oublie toutes ses tirades, et Gulliver Hecq est Mortimer, celui qui excelle à jouer le mourant. Ils font d'une manière hilarante les mauvais comédiens, preuve paradoxale de leurs réels talents.
Les lumières d’Emmanuel Valette sont efficaces et subtiles pour marquer chacune des scènes tandis que les costumes réalisés par Laure Mahéo caractérisent fortement les personnages par une couleur qui leur est attribuée. Chaque geste est maîtrisé comme chacune des paroles, très intelligibles, voire au début de manière presque trop appliquée. La chorégraphie des gestes l’est surtout lors des numéros chantés grâce au travail précis de Christine Vom Scheidt, la direction musicale étant confiée à Sandrine Abello, directrice musicale de l’Opéra Studio de l’OnR.
Ce spectacle donne en effet l’occasion d'apprécier les talents des artistes de l’Opéra Studio. La jeune Luisa est interprétée par Ana Escudero, soprano à la voix claire et fine, au jeu dynamique. Son voisin et amant Matt est incarné par le ténor Jean Miannay dont la chaleur du timbre adoucit avec justesse la brillance des aigus et ne se perd pas lorsque la voix se détimbre légèrement pour quelques intentions tendres dans le style de la comédie musicale.
Le séduisant bandit El Gallo, qui tient aussi le rôle de narrateur, est doté de la voix bien assise, délicieusement sombre et chaleureuse du baryton-basse Bruno Khouri. Bernadette Johns apporte son léger accent britannique à la mère de Matt, Mme Hucklebee, sans jamais qu’il ne gêne le chant porté par sa voix lumineuse et bien vibrée de mezzo. L’accent polonais de Michał Karski apporte également un certain charme à son personnage, M. Bellomy père de Luisa, bien qu’il soit un peu plus prononcé et moins facile à comprendre dans le chant, avec néanmoins une agréable voix large et moelleuse.
Les artistes sont accompagnés par le pianiste Hugo Mathieu, parfaitement en place dans ces rythmes syncopés, et la harpiste Katia Vassor, moins présente et apportant pourtant une certaine couleur dans des effets et un soutien discret mais non négligeable aux chanteurs.
Le public colmarien applaudit longuement l’ensemble des artistes, d’abord en musique avec l’accompagnement de la fameuse et agréable chanson d’ouverture et de clôture « Souvenirs tendres de septembre » (Try to Remember). La morale d'Hucklebee et Bellomy, digne de Candide, laisse songeur, lorsqu'ils chantent que planter un radis, c’est bien plus simple que d’élever un enfant.