Traviata Royale en ouverture de saison à l’Opéra de Liège
Les applaudissements nourris à l’entrée de sa Majesté la Reine avant même le début de la représentation donnent le ton de cette soirée : le spectacle n’est pas que sur scène.
Il y est cependant, assurément. Dès que le rideau s’ouvre, la scénographie apparaît grandiose : un théâtre à l’italienne sur scène en miroir de la salle, un immense lustre, des ampoules façon « feux de la rampe » en avant-scène, des paillettes et des confettis partout, sans oublier les costumes aux couleurs saturées signés Giuseppe Palella.
Une dizaine de danseurs et danseuses occupent régulièrement l’espace scénique avec les chorégraphies harmonieuses d’Antonio Barone.
Dans l’esprit show-cabaret, le metteur en scène Thaddeus Strassberger (qui signe également décors et lumières) fait tomber le quatrième mur : les personnages s’adressent au public, et certains chanteront même directement depuis les loges. Le metteur en scène et son équipe exploitent pleinement les éléments techniques de cette maison wallonne et de ses ateliers : des danseurs s’envolent en harnais, la loge de Violetta apparaît et disparaît depuis les cintres, l’escalier roulant en tiroir s’ouvre pour devenir un espace scénique supplémentaire, des portants couverts de costumes pailletés sont omniprésents et les “loges maquillage” (sur scène) deviennent à la fois des éléments techniques et des accessoires de jeu.
En coulisses, les artistes aux habillage, coiffure, accessoires, lumière, et machinerie, ne doivent pas chômer pendant cette représentation qui fait la part belle au collectif et à la symbiose artistique/technique.
L’ensemble est volontairement riche, assumant même une forme de surcharge à la Broadway : ces strass et paillettes comme pour couvrir cette scène et ce drame de la misère humaine qu’est La Traviata (d’après La Dame aux Camélias de Dumas fils). Cet univers contraste d’autant plus avec une atmosphère sombre, les lumières de la scène restant volontairement tamisées durant tout le spectacle : un clair-obscur.
Sortie de son théâtre miteux par Alfredo, Violetta se mue en femme au foyer heureuse dans un petit pavillon de banlieue meublé comme dans les années 1950 (avec sa pelouse assurément plus verte que celle du voisin). Cette pelouse finira toutefois arrachée, et les meubles de la maison saisis : retour au théâtre pour un spectacle volontairement kitchissime du chœur des bohémiennes et des matadors accompagnés des danseurs et danseuses (avec son tourbillon de strass et de paillettes sous une bohémienne géante en carton qui, actionnée par les cintriers, danse au-dessus de leur tête).
Finalement, les lumières des feux de la rampe se font de plus en plus fébriles, et s’éteignent avec Violetta, mourant dans une simple chemise de nuit blanche, sous les yeux d’un public impuissant.
Irina Lungu était comme toujours très attendue dans ce rôle-titre (qu'elle a pris à La Scala en 2007). Malgré des aigus surpuissants, bien clairs et projetés, ses graves plus diffus peinent à passer l’orchestre à certains moments. Les pianissimi sont risqués, souvent malheureusement trop fragiles. Sa concentration vocale limite de fait ses premiers élans amoureux envers Alfredo, et si le personnage maintient certes son soupirant à distance (au début du livret), l’artiste ne semble pas se livrer ici. Toutefois, son dernier acte lui permet de déployer d’autant mieux et sur un fil, toutes les nuances d’un “Addio” chaleureusement applaudi. L’artiste viendra saluer en larmes devant le rideau, offrant alors aux spectateurs les marques de sa sincérité et vulnérabilité.
Dmitry Korchak chante Alfredo de son matériau vocal extrêmement dense. La voix est très solide et les aigus également surpuissants. Son jeu d’acteur le rend très crédible en amoureux transi. Le tout se combine notamment pour son air du deuxième acte, “De' miei bollenti spiriti”, traduisant justement ces esprits bouillants, ces désirs ardents que Traviata et la voix du ténor canalisent en une ligne bel cantiste : ovationnée par le public.
Simone Piazzola donne au personnage de Germont une douceur et une sensibilité rehaussée de par son jeu d’acteur mais également par sa voix chaude et sonore offrant une couverture très fluide dans les aigus.
La mise en scène ne met pas vraiment en avant la discrète Flora d’Aurore Daubrun, ce à quoi elle parvient par ses couleurs dans les aigus.
Marion Bauwens dans le rôle d’Annina, est une soprano léger au timbre d’une grande douceur et aux attaques toujours bien nettes, le tout avec une présence scénique constante.
Francesco Pittari est un Gastone dont la voix possède une accroche redoutable, tandis que le Douphol de Pierre Doyen, bien que très solide, pourrait s’enrichir de quelques harmoniques aiguës.
Luca Dall'Amico dans le rôle du docteur, a la voix bien appuyée dans le grave, et Samuel Namotte dans le rôle d’Obigny à la voix de baryton claire et bien projetée, tous deux assurant leur présence scénique.
La voix bien accrochée de Jonathan Vork (Giuseppe), le vibrato bien tenu de Bernard Aty Monga Ngoy (domestique), et la projection de Marc Tissons (commissionnaire) concluent cette distribution complète.
Les chœurs offrent une couleur ronde et homogène, sachant se coordonner quoiqu'un peu derrière l'orchestre. Leurs Bohémiennes et Matadors sont pêchus et dynamiques.
L’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie, sous la baguette plutôt assertive de leur Directeur musical Giampaolo Bisanti, offre une riche texture avec finesse dans les pupitres de cordes. L’osmose est bien là, les solos bouleversants (notamment de la clarinette dans la lettre de rupture de Violetta) tout autant, mais l’équilibre plein et entier entre la fosse et le plateau manque encore en cette première.
Un long crescendo sonore et d’émotion en contrepoint du decrescendo de lumière, aussi maîtrisés l’un que l’autre, mènent vers les applaudissements fort nourris et l’accueil très chaleureux du public.