À Nancy, Haydn et La Création dans le Métavers
Le spectacle proposé au public de l’Opéra national de Lorraine est le fruit d’une double audace. C’était en effet un pari relativement osé que de proposer une version mise en scène pour un ouvrage qui, à l’origine, n’était pas destiné à la représentation scénique et dont la théâtralité, à l’instar de tous les oratorios de Haendel dont il est directement inspiré, est essentiellement intérieure.
L’histoire des théâtres et nos comptes-rendus ont montré à quel point, depuis plusieurs dizaines d’années, les metteurs en scène redoublent d’imagination et de créativité pour faire émerger tout le potentiel dramatique de ces ouvrages non conçus pour la mise en scène. Il est par ailleurs particulièrement audacieux de relire et de réinterpréter le texte biblique dont l’ouvrage de Haydn est inspiré. Cette relecture (que nous présentait le Directeur de l’Opéra national de Lorraine, Matthieu Dussouillez, rappelant que “selon un sondage récent, 38% des américains pensent que Dieu a créé la Terre avec de l’argile”) se fait ici au prisme des recherches et des découvertes scientifiques qui ont justement conduit à remettre en cause la lecture littérale de ce récit fondateur. La mise en scène de Kevin Barz vise en tout cas à démontrer qu’un ouvrage composé il y a plus de deux siècles peut tout à fait faire sens, et être encore d’une brûlante actualité, même quand il est relu au prisme d’un discours scientifique.
L’idée fondamentale de Kevin Barz est donc de combler le fossé qui sépare l’art de la science en confrontant les textes fondateurs de notre culture et l’histoire scientifique de l’humanité, en relisant la Genèse à l’aune de nos connaissances sur l’histoire de l’univers depuis le Big Bang jusqu’à l’apparition de la vie sur Terre. L’ingénieux décor conçu par Anika Stowasser se compose ainsi de plusieurs panneaux vidéo LED, sur lesquels sont projetées tout au long du spectacle diverses vidéos et images de synthèse faisant toutes état de diverses avancées de la science. Dans un tel contexte, les éclairages magnifiés conçus par Victor Egéa prennent un relief tout particulier.
Au centre de cette structure sont disposés les gradins, sur lesquels sont installés les choristes, censés incarner les chercheurs et les savants qui, de l’Antiquité au monde moderne en passant par la Renaissance, ont tous et toutes contribué au progrès de la science par leurs découvertes fondamentales. Le brouillage entre le monde réel et le monde virtuel est encore renforcé par le rôle des trois solistes – Gabriel, Uriel, Raphaël puis Adam et Ève dans le livret original –, chargés dans cette production de jouer soit le rôle d’un scientifique impliqué dans le cadre d’une découverte majeure, soit celui d’un simple humain confronté à la complexité de la science ou en admiration devant la beauté du monde.
La troisième partie, celle qui dans l’original de Haydn relate les premiers jours d’Adam et Ève au jardin d’Eden, délaisse le passé de la découverte scientifique pour se pencher sur la recherche du futur et les premiers développements de l’Intelligence Artificielle, de la robotique et de la réalité virtuelle. L’apparition de l’androïde AMECA, mis à disposition de l’Opéra national de Lorraine par une société de recherche sise en Allemagne, est très remarquée : cet humanoïde paraissant particulièrement abouti dans ses expressions faciales et ses gestes d’un exceptionnel réalisme. Le parallèle avec la naissance de l’Homme dans la Genèse et celle d’AMECA dans la réalité virtuelle ne peut que marquer tout un chacun.
Ce spectacle fort et stimulant, évidemment dérangeant aussi par les perspectives qu’il laisse entrevoir sur le futur de l’humanité – perspectives tout de même revues et corrigées par le patrimoine culturel et musical que l’audition de la musique de Haydn ne cesse d’évoquer –, offre tout au long de la soirée des images fortes et belles, troublantes dans leur réalité et leur virtualité. La proposition, fort heureusement, n’est pas dénuée d’humour notamment lorsque sont suggérés, dans le bestiaire montré en deuxième partie, les liens de filiation entre l’homme et le singe. Autre décalage entre texte littéral et mise en scène, l’ironie affichée par Ève – ou en tout cas le personnage féminin non identifié de la troisième partie – lorsqu’elle déclare sa soumission à l’homme…
La réalisation musicale n’est nullement sacrifiée par la production, bien au contraire. Sur instruments modernes, l’énergie insufflée à la partition par Marta Gardolińska corrobore pleinement les intentions affichées par la mise en scène, et les effets descriptifs de l’écriture de Haydn sont particulièrement mis en valeur. Parfaitement équilibré – avec 14 femmes et 14 hommes –, le Chœur de l'Opéra national de Lorraine donne une juste prestation malgré quelques vibratos intempestifs dans les pupitres aigus, a fortiori au regard des réalisations plus « baroques » devenus habituelles ces dernières décennies. Sortant de la phalange, Séverine Maquaire propose une prestation très virtuose dans les vocalises du chœur final.
Chez les trois solistes, la basse Sam Carl est parfois en délicatesse avec la justesse et gêné aux extrémités de la voix. Doté d’un timbre riche et généreux, le chanteur peine dans les graves et détimbre dans les aigus émis pianissimo.
Pour beaucoup, le ténor Jonas Hacker sera une révélation. Claire et fruitée, sa voix émise sans effort voyage agréablement dans le vaste espace dessiné par la scénographie. Les petites difficultés d’émission pour certaines notes aiguës, en début de soirée, s’estompent rapidement.
Très attendue depuis sa victoire au Concours Operalia, la soprano Julie Roset aura conquis l’auditoire par la fraîcheur de son timbre, la beauté souveraine de ses phrasés et la délicatesse de sa musicalité. D’une égalité parfaite sur tous les registres, idéalement projeté, son instrument au timbre argenté n’est pas sans rappeler les plus grandes chanteuses qui se sont avec elles aventurées dans cette partition.
Le public d’une salle comble aura salué avec enthousiasme la qualité de la réalisation musicale ainsi que la cohérence dramatique d’un projet artistique ambitieux qui était loin d’être gagné d’avance.
À noter que les représentations de cette création/Création nancéienne sont également hébergées en live, en réalité virtuelle, dans le Métavers grâce à la plateforme Sansar. Elles sont accessibles en direct via cette plateforme depuis un PC. L’expérience, qui pourra être augmentée via un casque de VR, restera en accès libre jusqu’à la fin de la saison 2023-2024.
On a applaudi aussi sur @TwitchFR ! Merci @Opera_Nancy pour cette opportunité, un grand bravo aux artistes et aux équipes Merci aux viewers et vieweuses d'avoir répondu à l'appel, et merci à mon cher @Johnny_Raton d'avoir co-animé le live ✨ J'ai pas les mots, juste merci https://t.co/PURCucIXsh
— Dahpril (@dahpril) 18 février 2024