Le voile se lève sur Belboul à l’Opéra de Reims
Le Moyen-Orient et la situation de la femme occupent au sein de ce spectacle la place centrale. Alexandra Lacroix, la metteuse en scène, scénographe et conceptrice de cette proposition, a fait le choix en premier lieu de représenter sans en modifier une ligne une opérette de jeunesse et de salon de Jules Massenet composée en 1874, L'Adorable Bel-Boul. Cette œuvre légère et amusante, mais déjà fort grinçante et déplacée pour le public actuel, conte les aventures de la belle Zaïza qui perd malencontreusement son voile dans la grande mosquée de Samarcande alors que le derviche-tourneur "Sidi-Toupi" officie. Un jeune homme Hassan la sauve du scandale et s'éprend d'elle. Revenue chez son tuteur, le riche marchand "Ali-Bazar", elle voit accourir Sidi-Toupi lui-même conquis et qui désire l’épouser sans tarder. Mais le tuteur souhaite marier en premier lieu sa fille aînée, Belboul réputée pour sa laideur et son caractère acariâtre. Heureusement, la suivante rusée Fatime saura déjouer les pièges et le couple Zaïza/Hassan pourra s’unir.
Aux yeux d’Alexandra Lacroix, la présence du voile apparait comme le ressort central de cette comédie douce-amère. Elle enferme l’ensemble des protagonistes sous un grand-voile de tulle blanc qui va se mouvoir au gré de l’action et de l’évolution des situations, après qu’une image animée d’un magnifique cheval blanc portant un long voile de mariée ouvre l’acte et le clôture. Ce dernier porte comme l’espoir d’une délivrance de cet enfermement qui encercle les protagonistes et laisse entrevoir des lendemains plus souriants.
La compositrice Farnaz Modarresifar ne quitte jamais le plateau, sorte d’observatrice muette et permanente de la situation. Sans transition, cette dernière invite l’auditeur au sein de la seconde partie de la soirée à s’immiscer dans un autre ouvrage, Des Rires au Jasmin, composition de 2024 et qui élargit la perspective d’ensemble aux situations actuelles de femmes notamment iraniennes, pays d’origine de Farnaz Modarresifar.
Les chanteurs/acteurs, alors dégagés du voile et sur une sourde mélopée contemporaine, se mettent à rire à gorges déployées, à s’affaler en scène ou à tourner en rond. Un certain malaise s’installe balayé ensuite lorsque Farnaz Modarresifar se met à jouer du santûr, instrument de musique iranien, sorte de cithare sur table aux cordes frappées. Alors que des fleurs de toutes couleurs surgissent des parois qui entourent le plateau, la beauté sonore et évanescente du santûr apaise les tensions et force à la réflexion.
Alexandra Lacroix propose ici un spectacle fort et intelligent qui laisse indubitablement des traces. Elle en a conçu la scénographie d’ensemble, Olga Karpinsky se chargeant pour sa part des costumes, Jérémie Bernaert de la vidéo et Flore Marvaud des lumières.
L’ouvrage de Jules Massenet n’est pas hérissé de difficultés vocales particulières et s’adresse avant tout à un ensemble de bons chanteurs/acteurs. C’est le cas de Marion Vergez-Pascal (Zaïza), voix de mezzo-soprano vive et souple, d’Angèle Chemin (Fatime) soprano de caractère, de François Rougier (Sidi-Toupi) élégant ténor qui caractérise toujours profondément les personnages qu’il incarne, de Mathieu Dubroca (Hassan), baryton bien assis, amateur de répertoire léger et contemporain, du baryton Antoine Philippot (Ali Bazar), le tuteur débordé par la situation.
Les instrumentistes présents pour Les Frivolités Parisiennes contribuent avec application, implication et couleurs au résultat. Le travail de la part de Thomas Tacquet, chef de chant et pianiste, Jean-Frédéric Neuburger au piano, Mathieu Franot à la clarinette et Vincent Radix au trombone est apprécié.
Le vif succès de cette soirée toute particulière se manifeste par l’accueil chaleureux du public rémois.