Présences contemporaines : Reich, Dessner, Reverdy
Centré cette année autour de la figure de Steve Reich, le Festival Présences se pense aussi comme l’occasion de faire découvrir d’autres compositions récentes.
Le programme devait s’ouvrir par un concerto pour piano de Bryce Dessner, écrit spécialement pour la pianiste Alice Sara Ott. Mais celle-ci étant souffrante, cette création est remplacée par la célèbre Clapping music de Steve Reich et Aheym de Bryce Dessner, pour quatuor à cordes.
Le concert est de fait quelque peu éclectique assurément, mais, par le traitement de la percussion comme de la vocalité, il met en valeur la dimension corporelle de la musique contemporaine.
La Clapping music peut être considérée comme l’une des pièces les plus représentatives du compositeur américain. Écrite pour deux exécutants (elle peut être jouée par bien davantage, en l’occurrence huit en raison de la taille de la salle) qui tapent dans leurs mains, elle sonne comme l’écho d’une pulsation primitive originelle, uniquement corporelle. La technique du “phasing” s'y développe ce soir encore de manière particulièrement claire : les deux parties sont d’abord à l’unisson, puis l’une se décale et s’éloigne, jusqu’à finalement rejoindre à nouveau la première.
La deuxième partie, concluant le concert, sera également consacrée à Steve Reich (auquel cette édition du Festival Présences est dédiée), sa Desert Music bouclant ainsi la boucle d’un programme et d’un festival qui mettent à l’honneur cette année le père du minimalisme. Désertique peut-être par sa répétitivité, cette pièce n’en demeure pas moins saisissante par l’espèce d’hypnose que crée sa pulsation imperturbable. Pour une fois, ce sont les percussionnistes qui sont rois : placés juste sous l’estrade du chef, à la place des solistes, ils orchestrent le déphasage de la métrique avec une précision mathématique.
Aheym de Bryce Dessner est interprété par le quatuor Tana. “Aheym” signifie “retour à la maison” en yiddish, et “cette pièce est écrite comme une évocation musicale de l’idée de vol et de passage”, explique le compositeur. L’écriture des cordes, extrêmement dynamique, requiert en effet une énergie toute physique, encore amplifiée par la sonorisation. Les archets vibrent comme des scies, sur les pizzicati sonores du violoncelle.
Une autre forme de lyrisme lui succède avec “Crimen Amoris” de Michèle Reverdy, pour chœur mixte et orchestre, sur un poème de Verlaine. Cette commande spéciale de Radio France, donnée en création mondiale, décline toute une palette de l’expressivité vocale. Dans une esthétique qui serre de près le texte poétique, avec un grand et constant travail de la clarté et de l'oralité prosodique, le chœur est parfois utilisé de manière massive – pour illustrer un “affreux coup de tonnerre” – porté par des contrebasses qui s’emballent.
Dans les passages descriptifs, les pupitres se divisent avec netteté et la compositrice n’hésite pas à employer la déclamation parlée, pour rendre un passage au style direct dans le poème. Les choristes préparés par Lionel Sow interprètent avec une grande finesse et précision cette musique éclatée, tout en contrastes et en ruptures. Brad Lubman semble planer sur cet univers millimétré, cachant par son aisance la précision du geste.
Le public a beau ne pas ménager ses applaudissements, des avis à la sortie semblent plutôt mitigés : beaucoup regrettent le Concerto de Dessner, – et trouvent le minimalisme de Reich un peu minimal. Mais si cette musique divise et (dé)concerte, c'est aussi qu'elle est bien présente.