Ophélie au fil de l’eau au Théâtre de l’Athénée
Depuis la pièce Hamlet de William Shakespeare, le personnage tendre et tragique d’Ophélie a inspiré de nombreux compositeurs et écrivains, notamment allemands. La soprano Anna Prohaska, le pianiste Eric Schneider et le comédien Lars Eidinger ont ainsi élaboré un programme ambitieux autour de la figure de cette toute jeune femme noble du Royaume de Danemark que les actes insensés de son fiancé Hamlet font faire basculer vers la folie et la mort par noyade.
Alternant Lieder et mélodies avec des textes déclamés en langue allemande -mais surtitrés en français-, les interprètes présents s’immergent dans les dédales psychiques d’Ophélie avec gravité et intensité. Le comédien shakespearien allemand Lars Eidinger, grand interprète du rôle d’Hamlet notamment sous la direction de Thomas Ostermeier, débute le programme avec le fameux Être ou ne pas être qu’il porte d’une voix forte et incisive. Il reviendra ainsi à plusieurs reprises au cours de la soirée pour déclamer des textes puissants évoquant les deux héros d’Hamlet. Georg Heym, poète expressionniste mort prématurément, a livré une fiévreuse poésie en 1910 sur Ophélie qui flotte dans l’ombre. Lars Eidinger aborde ensuite un texte du poète et dramaturge Heiner Müller, auteur de la fameuse pièce de théâtre Quartett, puis de Georg Trakl, poète insaisissable et torturé.
La soprano Anna Prohaska a choisi pour sa part d’interpréter des Lieder -extraits ou non de cycles spécifiques- de Johannes Brahms -Funf Lieder der Ophelia, Nachtigall-, Felix Mendelssohn -Schilflied- ou Hugo Wolf -Erstes Liebeslied eines Mädchens. Elle aborde par ailleurs le cycle rare d’Arthur Honegger, Trois chansons extraites de la Petite Sirène d’après Hans Christian Andersen, toujours en relation avec l’eau et ici la mer. Franz Schubert, Richard Strauss avec Drei Lieder der Ophelia, Kurt Weill et Robert Schumann avec Herzeleid conduisent peu à peu l’auditeur vers la noyade et la disparition de la jeune femme devenue désormais un mythe. Bien entendu, Hector Berlioz et sa Mort d’Ophélie ajoutent la touche nécessaire de trouble et d’émotion à cette évocation fournie.
Anna Prohaska aborde avec une émotion sincère et non dissimulée toutes ces pages musicales. La voix se trouble quelquefois, mais sa voix de soprano malléable et au timbre clair, montre une réelle adéquation à toutes ces mélodies pourtant d’origines très diverses. Elle bénéficie pour ce faire de l’appui et de la versatilité d’approche de son complice et pianiste habituel, Eric Schneider. Ils jouent et enregistrent souvent ensemble : la qualité qui en découle est ici perceptible à chaque instant.
En guise de bis, Anna Prohaska et Lars Eidinger ont délibérément choisi de créer une rupture avec un extrait de la comédie musicale L'Opéra de quat'sous de Kurt Weill et Bertolt Brecht, pièce où leur complicité artistique évidente s’affirme. Ce concert empli de gravité est vivement salué par le public fort attentif du Théâtre de l’Athénée.