Le Voyage d’Hiver de Xavier Sabata, expressionnisme en noir
Si l’hiver se prête à merveille au spleen du Winterreise (Le Voyage d’Hiver) de Schubert, et s’il est ici confié -choix rare- à la voix d’un contre-ténor, ce trio créatif propose une version expressionniste et résolument sombre du chant du voyageur.
Les 24 poèmes de Wilhelm Müller, mis en musique par le compositeur peu avant sa mort, mettent en lumière l'itinéraire d'un homme seul, désespéré et affaibli, durant l'hiver : un narrateur faisant entrer en résonance avec sa propre solitude. Figurant cette absence d’espoir, la blancheur de la neige omniprésente dans le cycle est ici remplacée par le noir abyssal de la mise en scène de Rafael Villalobos (qui avait offert in loco une Tosca puissante et symbolique en 2021). Plongé dans le noir, le public (qui fait salle comble) fait face aux éclairages expressionnistes allemands qui rappellent le cinéma de Fritz Lang et ses visages en clair obscur : c’est ici dans le dépouillement le plus absolu que se dessine l’itinérance du poète. Le jeu théâtral de Xavier Sabata, tel un One Man Show, tient la scène d’une intensité vocale purement romantique : solitaire sur scène comme le marcheur de Schubert, tel un conteur.
Lorsque le public pénètre la salle principale de La Monnaie, Xavier Sabata est d’ailleurs déjà présent sur scène. Sillonnant le sol, perdu dans ses pensées, son théâtre a déjà débuté. Faisant face au public avec un naturel désarmant, il marche sur un sol sombre de galets noirs crissants, soulignant le poids alourdi des pas du marcheur, radicalement terrien.
Dans une opposition totale, sa voix de contre-ténor se dessine, riche et céleste, en éloquence et en élévation. Les notes tenues, en hauteur, sonnent ornementées et puissantes, légèrement crissantes elles aussi par moments, pour mieux descendre également vers une voix rauque dont les graves s’allient tout à fait avec la mise en scène. Xavier Sabata joue de ce dialogue de tessitures, entre grave et aigus, dans une forme de schizophrénie pour Auf dem Flusse (Sur le fleuve).
Pieds nus, chemise froissée, le contre-ténor va jusqu’à mimer l’ébriété dans la quête de l’oubli : bouteille à la main, qu’il vide et va jusqu’à briser sur son crâne dans le Wasserflut (Inondation). Colère et folie dansent la valse, et le chanteur apostrophe son public, lui jetant des fleurs de colère.
Voisin dissimulé du voyageur solitaire, la touche intense, moelleuse et cotonneuse de Francisco Poyato tempère l’expressionnisme de la voix.
Le duo se joue ainsi de l’exercice du récital. Sifflant sur scène, le pianiste accompagne le Frühlingstraum (Rêve de printemps) avec insolence et une touche de folie fidèle au romantisme allemand. La voie de Sabata se dessine maximaliste, à contrario de la scène dépouillée de Villalobos.
Ovationné par le public, Xavier Sabata peut enfin quitter le poids de la terre et rejoindre le Pierrot lunaire (de Schönberg qu’il interprète au Teatro Real de Madrid en ce mois de février, et dont il a lui-même conçu la scénographie).