Dame Sarah Connolly et Capitaine Esa-Pekka Salonen à la Philharmonie
Dame Sarah Connolly connaît tout particulièrement ce compositeur, et ce cycle (qu’elle a d’ailleurs gravé pour le disque il y a presque vingt ans), créé en octobre 1899 au Festival de Norwich sous la baguette du compositeur, avec en soliste la contralto Dame Clara Butt (grande figure victorienne). Les Sea Pictures furent composées lors d’un séjour au Pays de Galles, à quelques encablures de la mer, et sur des poèmes de cinq auteurs différents (dont l'épouse du compositeur pour la seconde mélodie, intitulée In Haven-Capri).
Entre évocation de la nature et de la mer, Elgar se laisse aller à l’introspection et à la méditation avec l’amour ou la mort comme objet de réflexion, ce dès la Berceuse (Sea Slumber Song) d’entrée au très développé Sabbath Morning at Sea (3ème du cycle), au fort inspiré Vers les îlots de corail (Where Corals Lie). La dernière pièce, Le Nageur (The Swimmer) se pare d’une exaltation particulière, du tourment à une sorte de clarté qui vient conclure le cycle.
Retrouvez notre présentation du programme sur Classykêo : "On se fait une toile ?"
À la tête de l’Orchestre de Paris, Esa-Pekka Salonen s’efforce de modérer les forces en présence notamment dans les premières pièces du cycle à l’orchestration particulièrement sonore et riche. Ceci afin de permettre à la cantatrice de s’exprimer au mieux au sein de la vaste salle de concert de la Philharmonie de Paris. La projection vocale de Sarah Connolly a un peu diminué, mais la beauté de ce timbre chamarré demeure intacte ainsi que la tenue toujours irréprochable de la ligne vocale. L’aigu se libère plus aisément sur la fin de l’opus avec des graves alors plus accentués. L’émotion surtout emplit la prestation de la cantatrice de bout en bout, chaleureusement saluée par le public.
Le programme de la soirée se sera ouvert par la Fantaisie et Fugue BWV 537 de Jean-Sébastien Bach dans l’orchestration fort opulente d’Elgar, Esa-Pekka Salonen s’emparant de ce long crescendo musical avec une autorité et une vigueur qui aboutit sur un tutti final bouillonnant et spectaculaire, avec un orchestre qui semble comme soulevé par ce chef charismatique. Outre Elgar, la musique de Paul Hindemith aura occupé la seconde partie du concert avec en premier lieu une interprétation fiévreuse et comme sculptée dans le marbre du court Ragtime, où s’entremêlent les influences les plus diverses, de Bach au jazz ou rythmes afro-américains.
La Symphonie de Mathis der Maler (Mathis le peintre) composée par Paul Hindemith dans le même temps que son opéra éponyme, créée avec grand succès à Berlin en 1934 sous la baguette de Wilhelm Furtwängler puis interdite par les autorités de Troisième Reich, fait référence aux différents panneaux spécifique du fameux Retable d’Issenheim peint par Matthias Grünewald (personnage principal de l’opéra, 1475/80-1528), retable conservé au Musée Unterlinden de Colmar. Si la conclusion vise l’apaisement et glorifie le monde céleste, Esa-Pekka Salonen continue d’y pousser l’Orchestre de Paris dans ses retranchements. Ce dernier lui répond avec une cohésion d’ensemble impeccable et une adhésion pleine et entière à ses sollicitations.
Cette interprétation et cette soirée presque tellurique soulève l’enthousiasme du public qui rappelle le chef et l’orchestre à de nombreuses reprises au terme du concert.