Carmen intime en Provence
L’opéra Carmen est ici concentré en une durée d’une heure et demie, porté par de jeunes chanteurs et replacé dans un contexte plus minimaliste et intime par la mise en scène, les décors, costumes et lumières de Frédéric Roels (Directeur de l’Opéra Grand Avignon et ancien Directeur de l’Opéra de Rouen qui a produit ce spectacle). Le plateau consiste en un carré (les quatre angles représentant les quatre personnages) plein de sable qui donne forme à une arène en miniature, un espace ouvert sur 360°, avec des spectateurs qui entourent et observent attentivement les artistes depuis les chaises, les gradins et les coussins posés par terre.
L’histoire est réduite au strict minimum, entraînant de fait certaines ruptures de continuité dans la narration et les actions des personnages, mais mettant en valeur la fragilité des caractères principaux de l'œuvre originale. L’adaptation de Frédéric Roels propose aussi quelques changements dans l’histoire de l'opéra (Carmen meurt ici étranglée, et non pas poignardée). L’orchestration de Bizet est réduite également... à un seul instrument : le violoncelle, qui, selon les mots de Frédéric Roels, représente une sensualité profonde et se rapproche au mieux de cette tessiture grave et envoûtante de la mezzo-soprano qu'est Carmen. Le fait que l’air le plus célèbre de cet opéra, la Habanera, commence justement par un arpège du violoncelle y est aussi pour quelque chose. L’adaptation musicale, signée Jacques Petit, se base pleinement sur l'œuvre originale, tout en jouant sur des suspensions, tenues, silences, suscitant des avis partagés dans le public. Le violoncelliste Florent Audibert accompagne les chanteurs et les soutient attentivement. Il présente sa technique assurée, qui lui permet de jouer en solo et presque sans arrêt pendant tout le spectacle. Cependant, sûrement, à cause de la fatigue, il perd parfois en précision, il couvre parfois les chanteurs et devient quelque peu monotone et déconcertant par moments.
Carmen, la tzigane passionnée au caractère indomptable, est interprétée ici par la jeune mezzo guadeloupéenne Axelle Saint-Cirel. Sa voix corsée et généreuse, bien canalisée, est accompagnée d’un vibrato bien marqué et d’ornements très agiles. Son chant est agréablement accentué et nuancé, avec des piani très délicats et des forte qui atteignent facilement chaque spectateur. Son texte est clair, grâce à des voyelles arrondies et des consonnes bien marquées. Elle interprète la Habanera sur le dos, montrant une voix stable et soutenue. Son interprétation sait séduire Don José et Escamillo avec grâce, mais aussi se montrer menaçante avec un regard profond et des gestes fermes.
Le soldat amoureux de Carmen, Don José, habillé ici en policier municipal, est interprété par le ténor Etienne de Bénazé. Il interprète son personnage d’une voix claire et légère, accompagnée d’un joli phrasé. Les moments les plus intenses de son chant mènent à des fins de phrases appuyées sur des craquellements de voix expressifs. Ses aigus ne sont pas assez ouverts et tournés, donnant parfois quelques notes aiguës un peu basses et étouffées dans l’acoustique courte de la salle. Sa voix manque aussi de rondeur et de puissance par moments, se laissant couvrir facilement par ses collègues ou par le violoncelle. Son jeu scénique manque un peu d’assurance dans ses déploiements et verse parfois dans l'excès alors que sa présence est sinon naturelle.
Le baryton Aimery Lefèvre incarne le toréador Escamillo d’un regard profond et séducteur, dans son costume totalement blanc. Il chante d’une voix caverneuse et intense, large et pénétrante. Son vibrato s'ouvre sur un texte très clair. Sa voix robuste et bien projetée reste, malgré l’acoustique de la salle, très sonore avec des graves et des médiums bien assurés qui envahissent l'acoustique lors de chacune de ses interventions. Sa voix chaude reste ainsi totalement reconnaissable lors des ensembles et lui permet de mettre en valeur son expérience et la maturité de son instrument.
Micaëla est interprétée par la soprano Lyriel Benameur. Habillée comme en petite fille, elle fait montre d’une jolie voix claire aux aigus brillants et bien soutenus. Sa voix riche en harmoniques aigus, accompagnée d’un vibrato rapide, lui permet d’émettre une voix sonore même lorsqu’elle tourne le dos au public (de l’un des quatre côtés). Cependant, ayant récemment commencé sa carrière, son jeu scénique est encore hésitant, malgré des efforts évidents pour proposer un jeu théâtral expressif.
Le public applaudit les artistes pendant de longues minutes et ceux-ci remercient en faisant des révérences des quatre côtés du carré et par deux fois.