Poésie Céleste à Nancy
Intitulé « Poésie Céleste » le programme proposé à la salle Poirel de Nancy par l’Orchestre de l’Opéra national de Lorraine allie cohérence et homogénéité. La pièce sur laquelle s’ouvre le concert, le « poème nocturne » Ange du compositeur et pianiste ukrainien Théodore (Fedir en ukrainien) Akimenko, relève d’une esthétique postromantique qui s'allie tout à fait avec les célébrissimes Vier letzte Lieder (Quatre derniers Lieder) de Strauss et Symphonie n°4 de Mahler. Élève de Balakirev et de Rimski-Korsakov, professeur de Stravinsky, ce compositeur ukrainien peu connu mérite assurément de ressortir de l’oubli dans lequel il est tombé aujourd’hui, sans doute en raison de l’attention portée par le public et la critique sur des ouvrages plus avant-gardistes et davantage inscrits dans le courant moderniste de leur époque. Son poème symphonique proposé en début de concert déploie ces couleurs orchestrales typiques de l’écriture instrumentale slave, mais atténuée par les touches impressionnistes caractéristiques de l’écriture française, à laquelle Akimenko emprunte également de subtiles ambiguïtés tonales qui ne seraient pas sans rappeler, non plus, les couleurs orchestrales d’un Zemlinsky. L’œuvre, en tout cas, s’entend comme une introduction idéale aux Vier letzte Lieder de Strauss, dont le postromantisme exacerbé sonne presque comme un anachronisme musical. La thématique de ce cycle bien connu, la fin d’un voyage au crépuscule d’une vie riche et bien remplie, est en parfaite adéquation avec celle du poème symphonique ukrainien, Ange, et les annonces d’une vie céleste (« Das himmlische Leben ») proposées par l’œuvre de Mahler.
Des trois pièces entendues lors du concert, la Quatrième symphonie permet à l’Orchestre de l’Opéra national de Lorraine de s'exprimer bien davantage, en raison notamment de l’importance accordée aux cuivres et aux bois. Si les deux pièces de Strauss et d’Akimenko peuvent parfois manquer d'une lecture analytique, privilégiant l’effet de masse sonore sur le détail de l’écriture instrumentale, l’ouvrage de Gustav Mahler permet à la cheffe Marta Gardolińska de faire ressortir les enthousiasmantes rutilances d’une orchestration particulièrement soignée. La symphonie est de surcroît présentée "dans la toute nouvelle édition critique réalisée d’après les corrections apportées par Mahler lui-même lors de son dernier concert new-yorkais en février 1911".
Dotée d’un instrument solidement charpenté, au timbre agréablement fruité, la soprano Hélène Carpentier propose une lecture sobre et mesurée des Quatre derniers Lieder de Strauss. Même si la chanteuse s’est jusqu’à présent cantonnée à des rôles de soprano lyrique, voire lyrique léger, sa voix dévoile un potentiel dramatique et des réserves de puissance qui devraient pleinement convenir aux grands rôles mozartiens et à certaines parties straussiennes, voire aux wagnériennes à terme. L’aigu s’envole sans le moindre effort, le médium et le grave sont solidement installés, et la cantatrice française phrase avec goût et musicalité les envoutantes lignes vocales conçues par Richard Strauss au soir de sa vie. L’allemand, encore un peu épais, gagnerait à être amélioré, même si ce défaut apparaît moins dans le dernier mouvement de la symphonie de Mahler, grâce peut-être à l’aide fournie par le recours à la partition. Ce dernier morceau aurait également pu bénéficier d'aigus un peu plus planants, et d'un phrasé davantage murmuré, pour certaines oreilles en tout cas et pour parachever cette prestation saluée par un public enthousiaste et généreux en applaudissements, visiblement emporté par la belle participation de la soliste et le niveau musical atteint ces dernières années, grâce en partie au travail acharné de Marta Gardolińska et de son Orchestre.