Traviata intimiste et intense à la Fondation Simone et Cino Del Duca
Opera a Palazzo a déménagé (ils s'étaient produits à la Fondation Dosne-Thiers, ainsi qu'au musée Jacquemart-André, désormais en travaux) mais le concept venu de Venise reste le même depuis bientôt trois ans dans la capitale : une Traviata de Verdi réduite aux trois rôles principaux et trois instruments (piano, violon, violoncelle) pour une heure trente de musique dans un hôtel particulier luxueux. La fondation Simone et Cino del Duca, d’ordinaire fermée au public, ouvre ses portes pour deux représentations par mois jusqu’en juin. Nul besoin de décors, les lustres, miroirs, colonnes et moulures du grand salon se suffisent à eux-mêmes, seuls quelques accessoires sont nécessaires à la mise en scène de Patrizia Di Paolo, dans les élégants costumes du Nicolao Atelier de Venise. Le public est réduit (pas plus de 50 personnes), et la proximité immédiate. Cela demande une grande prouesse aux chanteurs de casser la barrière souvent importante entre le public et les personnages. Ici, Violetta s’adresse directement aux spectateurs, tombe à leurs pieds, leur sert une coupe de champagne.
La mise en scène est simple mais sait tirer parti de ce lieu d’exception : des jeux de reflets et de regards, avec les grands miroirs, par exemple, créent de très belles images, et l’utilisation pensée de l’espace, pour les interactions et échanges, permet une compréhension aisée du livret (même si chaque spectateur reçoit dans le programme la traduction du livret pour remplacer le surtitrage).
Armelle Khourdoïan paraît ainsi telle la véritable incarnation de Violetta, telle que le spectateur se l’imagine : jeune, rayonnante avec quelque chose de frêle dans l'incarnation qui ne se répercute pas dans la voix, et un petit air des tragédiennes classiques pour parachever le tout. Libérée des contraintes de la scène et de l’orchestre, elle offre une interprétation du rôle rendue d'autant plus superlative. Capable de chanter le célèbre Sempre libera tout en buvant et servant du champagne, la maturité scénique et vocale emporte un timbre riche, vibrant, chaleureux. Les nuances sont parfaitement maîtrisées, mais par-dessus tout, elle sait adapter sa vocalité à l’état physique et psychologique du personnage.
Christophe Poncet de Solages et un Alfredo solaire au timbre brillant. La proximité physique rend d’ailleurs l’écoute d’autant plus agréable, les harmoniques venant percuter les oreilles dans un délicieux frisson. Les aigus sont vaillants et maîtrisés, sans jamais céder à la force, et le ténor sait se faire plus doux pour respecter l’équilibre des duos.
Dans le rôle de Germont père, Jiwon Song offre un timbre sonore qui manque parfois de douceur, surtout dans un lieu aussi réduit qui mériterait plus de nuance piano. Heureusement, son jeu fait de charme, sa présence scénique et ses graves chaleureux et brillants font aisément oublier ce petit manque.
Les trois instrumentistes (Yuko Osawa, Alex Diep et Cecilia Carreño) font preuve d’une grande écoute qui laisse beaucoup de liberté et d’aisance aux chanteurs. Le piano est parfois un peu fort, mais c’est du fait de l’instrument et non de la pianiste (qui offre d’ailleurs à l’entracte un impromptu de Chopin en toute simplicité).
Le public est conquis par cette soirée haut-de-gamme, et offre même une standing ovation amplement méritée à Armelle Khourdoïan, et ses partenaires.