Ovations pour La Traviata et Nadine Sierra à Bastille
Présentée en 2019 à l’Opéra Garnier avec Pretty Yende et Benjamin Bernheim, la mise en scène de La Traviata signée Simon Stone resitue l’action à l’ère contemporaine. De demi-mondaine, Violetta Valery est devenue influenceuse sur les réseaux sociaux, étalant publiquement la moindre de ses activités personnelles, attirant ainsi tous les regards et suscitant la fascination de l’instant. Pourtant, la personnalité de cette femme qui se veut libre est beaucoup plus complexe, comme le sous-entend le décor réalisé par Bob Cousins.
Sur un grand plateau tournant sont disposés deux grands murs perpendiculaires formant l'intérieur d'une grande boîte. Du côté extérieur, souvent sombre voire noir, ces murs sont des écrans immenses sur lesquels sont diffusées des vidéos (de Zakk Hein) : fil de publications Instagram, conversations SMS, courriels de la banque ou de résultats d’analyses médicales, parmi des photographies de beaux moments de vie de couple entre Violetta et Alfredo. Alice Babidge signe aussi bien des costumes de soirées loufoques Carnavalesques, que les tenues du travail à la ferme.
Les vidéos suggèrent aussi des lieux et ambiances, comme les dessins en néons éclairent les moments de débauche. Mais à l’intérieur de ce géant écrin, les murs sont blancs, raides. Leur pureté (qui annonce aussi la fin tragique) contraste avec le dynamisme des images qui anime l’enveloppe extérieure. Derrière les apparences de mondanité, se cache la véritable Violetta, éperdue d’amour et de solitude. La présence fréquente de la statue équestre de Jeanne d’Arc de la Place des Pyramides, à Paris (capitale de l’histoire de Dumas fils), indique aussi l’horizon sacrificiel que Violetta accepte, avec la vertu qu’elle se voit refuser. Grâce au plateau rotatif, ces décors peuvent être changés au long de la soirée avec dynamisme, toutefois, l’animation des vidéos (notamment amusantes) peut gêner des spectateurs voulant se concentrer sur la musique lors des arias.
Le rôle principal est confié à Nadine Sierra, qui lui offre son intensité d’interprétation scénique et vocale. Sa voix s’illumine avec naturel, amplifiée par un vibrato présent et des graves-médiums affirmés. Elle monte avec agilité et finesse dans les aigus. Ses longues et délicates tenues savent aussi bien plonger dans les déchirements tragiques.
René Barbera incarne Alfredo de son timbre vaillant et chaleureux avec équilibre. La simplicité touchante de son phrasé s’épanouit notamment dans le candide passage de vie à la campagne.
Ludovic Tézier s’impose naturellement comme pour la création de cette mise en scène (et comme à son habitude) par sa voix chaude et sûre, peignant Giorgio Germont en père aussi aimant qu’inquiet, bienveillant malgré ses terribles recommandations. La tendresse et la finesse de son chant, aussi constantes et assurées que sa ligne vocale lui valent de très chaleureux applaudissements et bravi (et même un haut et fort “Magnifique !”) du public comblé.
Les personnages secondaires aux interventions brèves permettent néanmoins d’apprécier la voix fine et claire de Cassandre Berthon en Annina, et la douce rondeur de Marine Chagnon en Flora Bervoix. Gastone bénéficie du timbre tendre avec une touche de brillance de Maciej Kwaśnikowski, face à un sombre Baron Douphol en la personne d’Alejandro Baliñas Vieites. Florent Mbia prête son chant chaleureux au Marquis d’Obigny tandis que la voix noble de Vartan Gabrielian, aux graves particulièrement souples, sied au docteur Grenvil. Membres des Chœurs de l’Opéra national de Paris, Hyun-Jong Roh (Giuseppe), Olivier Ayault (Domestique) et Pierpaolo Palloni (Commissaire) assurent leurs parties avec présence et soin.
Si les Chœurs de l’Opéra national de Paris, préparés par Alessandro Di Stefano, n’ont tout d’abord pas autant d’exultation que l’Orchestre, avec quelques légers retards par rapport à la fosse au premier acte, ils retrouvent ensuite une appréciable homogénéité. Sous la direction minutieuse et sensible de Giacomo Sagripanti, l’Orchestre de l’Opéra national de Paris fait entendre des contrastes efficients, des couleurs aussi nostalgiques que dynamiques et envolées.
La salle se lève pour saluer la scène finale de Nadine Sierra, disparaissant dans l’écrin devenu porte vers une brume céleste et éclatante de lumière. Les spectateurs saluent longtemps l’ensemble des artistes, se levant de nouveau pour applaudir Ludovic Tézier, René Barbera et ovationner Nadine Sierra.