« Que l’on chante, que l’on danse » The Fairy Queen de Purcell à la Cité de la Musique
« Que l’on chante, que l’on danse » (air du Fleuve Sangar dans Atys de Lully, autre opus emblématique de cet ensemble) pourrait aussi être la devise de cette Fairy Queen de Purcell telle que présentée par Les Arts Florissants tant les deux arts sont imbriqués et investis par les jeunes artistes du Jardin des Voix et de la compagnie Käfig.
À l’origine, The Fairy Queen est un "semi-opéra" et la musique, s’insérant entre les actes de la pièce de Shakespeare, Le Songe d’une nuit d’été, apparaissait alors davantage comme un divertissement. Hors contexte et sans texte, la musique de Purcell se révèle dans toute sa splendeur et sa diversité : écriture contrapuntique savante, musique de danse et chansons populaires, mélodies expressives, humour et virtuosité.
De l'esprit Shakespearien, Mourad Merzouki en retient le foisonnement d’intrigues et de personnages pour créer une mise en espace chorégraphique entremêlant chant, musique instrumentale et danse, « comme la métaphore même du sujet traité : la rencontre inouïe et fascinante de formes artistiques qui, tout d’un coup, renouvellent notre regard pour nous surprendre ».
Chanteurs et danseurs sont présents sur scène tout au long du spectacle et, bien qu’intervenant chacun dans son domaine de compétence, les chanteurs sont également mis en mouvement et participent à certaines chorégraphies (ils ne sont pas exempts de portés). La connivence et les interactions entre les artistes se montrent réjouissantes et il en résulte une extra-ordinaire énergie communicative.
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Le talent du chorégraphe réside aussi dans sa faculté de mêler différents styles de danse : classique, contemporaine et urbaine. Les cinq danseurs et la danseuse de sa compagnie Käfig (Baptiste Coppin, Samuel Florimond, Anahi Passi, Alary-Youra Ravin, Daniel Saad et Timothée Zig) ne viennent visiblement pas du même univers et cependant, la cohésion du groupe s’instaure d’emblée. Tous ont un puissant rapport au sol leur permettant acrobaties, sauts et virevoltes, rendant leur danse intense et vigoureuse.
Le Jardin des Voix 2023 présente huit artistes lyriques (sélectionnés parmi plus de cent candidatures) qui s’emparent du projet avec un engagement visible et un bonheur contagieux pour le public.
La soprano Paulina Francisco préserve une finesse d’émission faisant savourer l’ornementation et l’agilité des airs. Georgia Burashko convoque et captive les esprits de l’air de sa voix charnue de mezzo-soprano, interprétant les mélismes, les silences et les paroles en intelligence.
La mezzo-soprano Rebecca Leggett en Junon offre de riches résonances et une assurance vocale pouvant rendre les amants trois fois heureux (“Thrice happy lovers”). La mezzo-soprano Juliette Mey vibre dans la plainte (“O let me ever, ever weep”) et fait vibrer les cœurs du public de sa voix enveloppante et nuancée.
Le ténor Ilja Aksionov a plus d’une corde à son arc, passant des voluptueuses vocalises des secrets d’une “nuit de charmes” au rôle travesti de Mopsa. Dans son registre de tête, il joue les “vierges effarouchées” mais convoque de beaux graves pour contrer les avances appuyées de Coridon, faisant rire l’auditoire. Son collègue ténor Rodrigo Carreto offre la suavité de nuances d’une extrême délicatesse, intensifiant cependant son chant dans une rondeur vibrante.
Le baryton Hugo Herman-Wilson endosse les rôles comiques avec bonheur aussi bien vocalement que physiquement. En poète ivre, il bégaie et se roule par terre tout en préservant une voix stable et projetée.
Pour sa part, le baryton-basse Benjamin Schilperoort assure la cohésion harmonique du groupe de sa voix aux graves rutilants. Il exhorte la troupe au silence, et tous accordent leur respiration et leur pulsation dans une déambulation hypnotique.
Les chanteurs évoluent en avant scène et développent une écoute fine afin de préserver la synchronisation avec l’orchestre dirigé par Paul Agnew. La précision de ce dernier n’entrave aucunement la liberté des instrumentistes et certains quittent même leur pupitre pour prendre part à l’animation scénique. Par exemple, les flûtistes Sébastien Marq et Nathalie Petibon se promènent en évoquant les chants d’oiseaux et le premier violon Emmanuel Resche-Caserta se joint aux plaintes de la chanteuse. Le public peut également savourer la “danse” du continuo tant Myriam Rignol, à la viole de gambe, Félix Knecht au violoncelle et Thomas Dunford au luth sont engagés physiquement dans leur jeu.
Après un finale bondissant, le public ovationne les artistes et tout le monde rentre chez soi, certain de faire des Fairy Dreams !
Vivez la retransmission audio de ce concert avec le lecteur France Musique ci-dessous, ce 27 janvier 2024 à 20h :