Nabucco en direct du Met : reprise d’un grand classique
La mise en scène d'Elijah Moshinsky dévoilée in loco en mars 2001, se veut classique et à l'image de cette histoire biblique d’oppression, de liberté et de conversion : les costumes (d'Andreane Neofitou) sont globalement d’époque et les tuniques, coiffes et armures se situent dans une mode vestimentaire antico-médiévale parfaitement fonctionnelle pour le cadre de l’action. Le décor de scène (John Napier) est principalement basé sur une structure pyramidale (tournante) exposant deux faces : l’une étant le temple assiégé de Sion du Ier acte (plus tard légèrement modifié pour présenter un mur de pierre traversé d’une large chaîne), l’autre le grand trône de Babylone, orné et encadré de statues au sommet d’un grand escalier.
La texture des larges blocs de pierre est bien rendue visuellement au cinéma, et la présence de torches et braseros sur scène donne davantage de couleur à un cadre très esthétique et crédible. Les larges plateformes de pierres et escaliers permettent une belle exploitation de la verticalité, et la foule de choristes offre des tableaux complets (véritables tableaux dans les changements de décor : les personnages se figent dans leur position sur scène pendant que la structure pivote).
La verticalité donnée par les escaliers est cependant à la fois force et faiblesse : parfaite pour établir visuellement un rapport de force et créer des tableaux esthétiques, elle devient problématique dans la scène où Nabucco implore Abigaïlle, imposant une distance et limitant le jeu et les interactions dans ce passage pourtant chargé d’émotion. Cela illustre aussi la grande difficulté (rarement conscientisée mais bien réelle) de chanter en descendant des marches.
Le montage vidéo est riche en gros plans et permet de profiter de visages habités par l’émotion, mais empêche parfois d’apprécier l’esthétique du tableau général, en plus de révéler les moindres mimiques des chanteurs.
Le rôle-titre est assuré par George Gagnidze. Sa voix est vibrante et sonore, sa ligne vocale assurée n’a aucun problème à passer les enceintes. Il sait trouver le mordant approprié au style de Verdi et au caractère de son personnage. Relativement convaincu dans la partie autoritaire et despotique de son rôle, avec des passages plus déclamés, il l’est encore davantage dans ses moments de perdition et de vulnérabilité où il trouve des nuances piani touchantes.
Liudmyla Monastyrska est Abigaïlle, la fille adoptive de Nabucco, ambitieuse et aussi impitoyable que la partition de Verdi pour ce rôle. Sa voix est large et très vibrante, elle assure avec panache l’ambitus diabolique du rôle, parfois en force, néanmoins. La largeur de ses sons rend le texte difficilement intelligible, sauf dans quelques passages piani, d'une grande finesse. L'intensité dans son rôle se déploie avec ses exclamations moqueuses ou vengeresses, mais aussi dans ses rares moments de vulnérabilité.
Dmitry Belosselskiy installe le caractère du prêtre Zaccaria mais surprend par son timbre sombre au vibrato très marqué. Ses larges voyelles rendent son texte difficilement intelligible sauf dans quelques passages plus déclamés, et son vibrato floute parfois l’intonation, particulièrement sur ses graves tenus, qui peinent à passer.
Seokjong Baek fait ses débuts au Met avec le rôle d’Ismaël. Sa voix est puissante et chaleureuse, sa ligne vocale impeccable. Il est compréhensible, donne son intensité au rôle, et s’il joue presque exclusivement des forte, il révèle à quelques moments des piani fins et touchants ainsi que des passages plus déclamés.
Fenena est incarnée avec une grande élégance par Maria Barakova. Le timbre est chaleureux, notamment dans ses graves, son court passage solo est touchant, comme sa participation aux ensembles est empreinte de sincérité.
Le Haut-prêtre de Baal dispose avec Le Bu d'un timbre de basse parfaitement intelligible et crédible dans ses intentions, le ténor Scott Scully est un Abdallo touchant en soldat fidèle, tandis qu'en Anna, Brittany Olivia Logan complète avec présence vocale les ensembles.
L’Orchestre est dirigé par Daniele Callegari, grand habitué des opéras de Verdi. Si la réalisation ne permet pas de voir sa direction lors des passages chantés, l’ouverture notamment confirme combien sa conduite est précise, et profondément habitée. L’Orchestre du Met déploie (à travers la sonorisation au cinéma) les nuances délicates de la partition (marquées par les soli de violoncelle et de flûte) autant que les explosions dramatiques, les passages sautillants et pastoraux dans ce style si caractéristique de Verdi.
Le Chœur du Metropolitan Opera (qui chanta le légendaire "Va Pensiero" en ouverture de la saison 2001 après les attentats du 11 septembre) s’impose, en son comme en images, dans ce rôle prépondérant que lui donne la partition de Verdi, tantôt d’une force et d’une puissance rare, tantôt d’une grande finesse et mettant en relief toutes les nuances requises. Idem sur le plan théâtral, les gros plans permettant d’apprécier l’investissement émotionnel des choristes.
Le Metropolitan Opéra en retransmission ciné-HD propose ainsi une itération traditionnelle de ce classique intemporel de Verdi, toujours très apprécié du public, porté par la qualité de son chœur et de son orchestre, comme en témoignent les applaudissements du public.
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