Madrigaux, tangos et fusion Salle Cortot
Buenos Aires Madrigal est l’histoire de la rencontre du consort de violes de gambe « La Chimera » fondé par Sabina Colonna-Preti et du luthiste-guitariste Eduardo Egüez, tous deux ayant à coeur de créer des projets musicaux originaux. C’est également l’intitulé du concert invitant l’auditoire de la Salle Cortot à un voyage pluridimensionnel.
Le voyage à travers l’histoire est induit par les origines des deux créateurs (une italienne et un argentin) qui, en composant ce programme de musiques mêlées évoquent l’histoire des Italiens à la recherche d’une nouvelle terre, "avec les Argentins qui vont en Italie pour retrouver leurs racines et les Italiens qui se passionnent pour le tango", sur les traces de ceux qui chantaient et dansaient dans les bars et les maisons closes de la « Boca » à Buenos Aires. Les œuvres présentées évoquent ces deux pays à travers leurs deux langues, leur fusion s’entendant dans l’espagnol parlé en Argentine teinté des sonorités chantantes de l’italien.
En juxtaposant madrigaux et tango, la soirée invite à un voyage dans le temps, proposant des allers et retours entre la fin de la Renaissance (Luca Marenzio, Cipriano de Rore…), le début du baroque (Monteverdi, Cavalli…) et le XXème siècle avec les tangos de Carlos Gardel et Astor Piazzolla. Ce mélange des genres s’harmonise grâce à une thématique commune aux deux esthétiques induisant une organisation du programme en six parties : Migration, Solitude, Clair-obscur, Absence, Bal et Rêve.
Le plus étonnant des voyages proposé est celui qui transporte l’auditoire entre la sonorité du consort de violes et celle du bandonéon, mettant en évidence leur relation et leur faculté d’exprimer l’intériorité et les épanchements de l’âme, et de transmettre l’émotion.
Placé au centre des musiciens, Victor Hugo Villena tire sur les soufflets de son bandonéon, faisant échapper une plainte languissante et nostalgique qu’interrompt une mise en rythme tonique invitant à la danse. En osmose, les archets des violes frottent les cordes, instaurant alors un véritable dialogue dans une alternance de moments suspendus et de tension énergique, le tout dans un équilibre mesuré. Le violon de Margherita Pupulin coiffe l’ensemble d’une dextérité tout entièrement dédiée à l’expressivité et, à la tête de l’ensemble, Eduardo Egüez intervient de son luth ou de sa guitare, indiquant les tempi, les départs, et participant aux riches échanges musicaux.
La fusion des genres incombe également à la voix, celle du ténor Furio Zanasi et celle de la mezzo-soprano Luciana Mancini qui, bien qu’étant des personnalités reconnues dans le monde baroque, s’emparent des textes des tangos avec sincérité. La fusion peine cependant à s’installer totalement car, les voix n’étant pas sonorisées, les nombreuses subtilités, inflexions, ou retenues dispensées par les chanteurs se perdent quelque peu dans le son d’ensemble.
Luciana Mancini interprète quasi exclusivement des tangos en se cantonnant au registre de poitrine (sa seule incartade baroque étant la deuxième voix dans Chiome d’oro de Monteverdi). Si ce registre, accompagné de gestes expressifs, sied à un certain dramatisme pour le tango, il peine cependant à s’épanouir et la voix parvient matifiée dans une certaine confidentialité.
Furio Zanasi, du haut de ses 96 ans (incroyable, tant il en paraîtrait facilement 20 de moins au moins), semble inspiré par les textes des tangos qu’il délivre au plus près dans des nuances variées, et il dit Ausencia de Jorge Luis Borges avec une conviction touchante. Malheureusement la voix ne semble plus pouvoir répondre aux exigences du répertoire plus lyrique, montrant perte de soutien, de centrage et une certaine atonie musicale. L’auditoire préfèrera se rappeler quel interprète talentueux il était, notamment dans le rôle d’Orfeo de Monteverdi (Il pianto d'Orfeo vient clore la soirée) dans de nombreuses productions prestigieuses.
La fusion madrigaux-tangos semble opérer auprès du public qui, même sans avoir eu la possibilité de danser, applaudit chaleureusement les artistes. Les deux bis offerts sont deux tangos : Niebla del Riachuelo de Roberto Goyeneche et la reprise d’El día que me quieras de Carlos Gardel. Le jour où tu m'aimeras, en hommage aux soirées que nous aim(i)ons.