Malade imaginaire, réel succès au Théâtre des Champs-Elysées
Il y a 350 ans, vers les débuts de l’année et juste avant la fin de la vie de Molière, Le Malade imaginaire était créé en comédie-ballet (chorégraphiée par Pierre Beauchamp, avec une musique de Marc-Antoine Charpentier) au Palais Royal, par la Troupe du Roi. Leurs descendants, ceux de la Comédie-Française, viennent conclure cette année 2023 et ouvrir la suivante avec cet opus, dans la mise en scène de Claude Stratz créée en la Salle Richelieu en 2001, et qui n'a pas pris une ride.
La scénographie réalisée par Ezio Toffolutti ne heurtera pas le puriste, utilisant le décor unique d’une grande salle, d’une maison dont se devine le faste passé, par les fresques pâlissantes de colonnades en trompe l’œil et les grandes portes murées. Le seul mobilier semble être cette imposante chaise garde-robe roulante. D’abord ornée d’un baldaquin, cette chaise où Argan fait ses affaires semble être un véritable trône, grandiloquent et déjà ridicule.
La production poursuivra ainsi dans cette lancée tout le long de la soirée, dévoilant subtilement l’absurde des faux-semblants et des vices plus ou moins cachés de chacun des personnages. Les costumes, également du scénographe, sont rehaussés par le maquillage, les perruques et les prothèses de Kuno Schlegelmilch pour faire du déguisement un outil du comique, toujours autant apprécié par le public, de Molière et d'aujourd'hui. Les lumières de Jean-Philippe Roy installent les ambiances de chaque scène et surtout les colorent, jouant parfois de saisissants clairs-obscurs.
Pour offrir une nouvelle illustration musicale aux intermèdes, Claude Stratz a fait appel à Marc-Olivier Dupin qui propose de courtes pièces dans le style de la musique vocale italienne du XVIIe siècle. Accompagnés discrètement par Jorris Sauquet au clavecin et Marion Martineau à la viole de gambe, trois chanteurs en Polichinelles participent à l’action, en écho à la sérénade originelle de la fin de l’acte I. Loin de briser le rythme soutenu de la soirée, leurs interventions facilitent même les transitions entre les actes, participant à une réelle continuité de toute l’œuvre. La scène finale, cérémonie effrénée d’entrée en médecine d’Argan, permet d'apprécier un peu plus en détail la voix des chanteurs. Si leur texte en français reste peu compréhensible lors des intermèdes précédents, leur latin de cuisine est très soigné pour en faire ressortir tout le comique, en parlé-rythmé ou lors d’une fugue. La voix de la soprano Elodie Fonnard se fait plutôt claire, celle du baryton Jean-Jacques L'Anthoën agréablement timbrée tandis que celle du ténor Jérôme Billy montre davantage de caractère avec des aigus tendus mais vaillants. Marc-Olivier Dupin propose également quelques effets sonores, toujours subtils, pour parer l’intrigue avec un paysage acoustique : quelques cloches qui sonnent parfois au loin, un clavecin (qui joue certainement dans une maison voisine) ou bien des tremolos de viole pour ajouter en tension lors d’une entrée d’un personnage vicieux…
La distribution est dominée par le jeu de Guillaume Gallienne qui prête sa voix et ses traits au personnage principal. Dans la bouche du comédien, le texte semble absolument naturel et indéniablement moderne. Le personnage oscille entre ses souffrances exagérées et ses moments où, oubliant sa comédie inconsciente, sa nature saine reprend le dessus. La pièce peut aussi compter sur l’ingéniosité et l’impertinence de sa servante Toinette. La voix railleuse de Julie Sicard laisse entrevoir au spectateur le jeu de cette femme intelligente qui se fait insolente : dont les allures candides font surgir la vérité du mensonge même. Béline, femme d’Argan, est jouée par Coraly Zahonero, maternante et malicieuse comédienne. Sa belle-fille Angélique prend les traits d’Elissa Alloula avec des inflexions de voix et de rythme presque adolescentes. Son beau Cléante, d’abord bien nerveux à l’idée de rencontrer son potentiel futur beau-père, est doté de la passion, parfois débordante, de Christophe Montenez. Leur duo fait volontairement entendre la maladresse d’une improvisation par deux amoureux non musiciens, offrant un moment aussi drôle que touchant.
Béralde, frère philosophe d’Argan, est interprété par Alain Lenglet avec une voix posée, à la projection dosée bien que paraissant un rien moindre par rapport à certains de ses collègues. Messieurs les médecins Diafoirus et Purgon sont d’effrayants personnages grâce au jeu et aux grimages de Christian Hecq. En Diafoirus, sa voix granuleuse donne des frissons tandis que celle de son Purgon se fait aussi doucereuse qu’autoritaire.
Clément Bresson est absolument méconnaissable en Monsieur Bonnefoy, Thomas Diafoirus et Monsieur Fleurant. Si le premier, par sa voix légèrement nasale, inspire la méfiance, le second, pâle et extrêmement nerveux, inspire un dégoût avec lequel rivalise seul le monstrueux Fleurant : des rôles particulièrement saisissants par un jeu très convaincant, convaincant comme l'est également le jeu de la toute jeune Louison, Alice Javary dont la voix claire et juvénile se projette avec aisance.
Bien que quelques spectateurs se joignent pleinement à l'action en toussant plus souvent que de raison, tous saluent cette soirée particulièrement drôle et bien rythmée en offrant des applaudissements particulièrement nourris.