Norma ouvre la trilogie Muti à Ravenne
Le maestro Riccardo Muti avait annoncé qu’il ne dirigerait plus d’opéras mis en scène. Cela n’empêche fort heureusement pas le célèbre chef d’orchestre (né en 1941) de maintenir un calendrier d’activités soutenues, avec de grands événements (retrouvez notre compte-rendu de son Offrande Musicale au Sanctuaire de Lourdes l’année dernière). En cette fin d’année c’est une “trilogie” qu’il conduit au Teatro Alighieri de Ravenne : Norma, Nabucco et un Gala Verdi (chaque événement est proposé deux fois, la deuxième date du Gala se tenant au Teatro Giuseppe Verdi de Busseto).
Les deux opéras sont présentés dans des versions semi-scéniques signées par l'artiste numérique Svccy (Matteo Succi), le programmateur visuel Davide Broccoli et les créations lumières d'Eva Bruno. Le ravissant Théâtre Dante Alighieri –situé à quelques pas seulement de la tombe du célèbre poète– est bien entendu une salle à l’italienne (ses architectes avaient également rebâti La Fenice de Venise après l’incendie de 1836). Sa scène se voit ici comme prolongée dans sa profondeur par des projections en vidéo. L’effet de trois dimensions et la haute résolution des images produit des décors parfois très réalistes. Deux écrans encadrent la scène pour augmenter l’effet d’immersion, amplifié et concentré encore par les lumières d'Eva Bruno. Ces écrans montrent des décors et des statues romaines, évoquant les personnages et l’intrigue de cet opus. Le travail du programmeur visuel Davide Broccoli insuffle une certaine vie à ces projections, avec des transitions très progressives et toujours à propos augmentant les effets de 3D : ces représentations suggèrent ainsi le décor et l’atmosphère mais sans prendre le dessus sur l’expressivité de l’interprétation des chanteurs. Contrairement à ce qui arrive parfois dans certaines mises en scène abusant de la vidéo, l’attention du spectateur envers la musique et les chanteurs n’en est aucunement gênée.
Si le maestro Muti ne souhaite plus diriger d’opéras mis en scène, cette production vient ainsi s’en approcher, également grâce à l’investissement dramatique des interprètes. La colère et les angoisses de la druidesse Norma, mère et amante, anime visiblement les cœurs des spectateurs. La soprano Monica Conesa se saisit de ce rôle avec un tempérament immédiat, intense et soutenu. Sa projection se fait tranchante et son timbre brillant, fortement vibré et froid (à dessein, comme de l’argent). Elle n’en perd néanmoins aucunement sa capacité de varier ses dynamiques, toujours avec présence (parfois un rien trop perçante). La finesse couronne le fameux “Casta diva”, la palette se déployant également vers des graves sombres, complétant le portrait de cette grande prêtresse, également par sa touchante amitié envers Adalgisa.
Ce rôle de jeune ministre du Temple d’Irminsul était confié à Eugénie Joneau, fort attendue dans la foulée de son triple prix remporté au prestigieux Concours Operalia. Malheureusement, souffrante, elle doit être remplacée. La prestation de Paola Gardina se voit particulièrement appréciée du public, la chanteuse assumant l’agilité de ce rôle notamment en conservant la douceur du registre de mezzo. Elle doit toutefois aider, de gestes, certaines montées vers l’aigu, un rien difficiles et perdant de la rondeur et lumière de timbre. Vittoria Magnarello complète la distribution féminine en Clotilde, sa présence délicate et sa voix offrant une agréable fraîcheur notamment avec Norma.
Le proconsul romain Pollione est confié à la voix chaleureuse du ténor Klodjan Kaçani. Si la ligne est un peu poussée et tendue en tout début de soirée, le temps d’adapter la projection -nécessaire pour passer outre l’orchestre-, il dessine ainsi d’emblée toute l’intensité de son rôle, qui s'épanouit avec un certain héroïsme. Les aigus se font ensuite et progressivement plus moelleux, mais à mesure qu’une légère part de fatigue se fait sentir en fin de soirée.
Père de Norma et chef des druides, Oroveso a toute la noblesse de la voix puissante de Vittorio De Campo, saisissant lui aussi de présence. Même pour se mesurer à l’orchestre rutilant, un rien trop emporté dans les premières scènes, sa voix est projetée avec assurance et largesse. Riccardo Rados complète la distribution en Flavio par sa voix chaleureuse et sûre.
Le Chœur du Théâtre municipal de Plaisance assume sa part essentielle, tous chantant par cœur (préparés par Corrado Casati). Le timbre de l’ensemble répond de moelleux et de vaillance aux solistes, et les soutient de majesté. Le puissant et effervescent « Guerra, guerra! » laisse le public saisi, au point qu’il n’applaudit pas, au grand étonnement de Riccardo Muti qui se retourne brièvement pour vérifier s’il n’est pas seul ! Le maestro fait preuve d’une gestuelle terriblement efficace et efficiente, parfaitement adaptée lorsqu’il s’adresse au chœur, aux chanteurs solistes ou aux instrumentistes. Sur une haute chaise pivotante, il distille toute la rigueur et la précision de son attention constante et universelle.
L’Orchestre de jeunes Luigi Cherubini le suit dans cette précision, notamment dans les pizzicati (les dimensions de la salle permettent d'apprécier cette précision, mais la quantité mesurée de molletonnage produit quelques petits effets de réverbération). L’attention des jeunes musiciens (envers la direction) permet de corriger promptement les légers écarts de tempi de leurs emportements enthousiastes.
Les effets de lumière et cette musique flamboyante semblent embraser le chœur lors du terrible finale, mais aussi le public explosant en nombreux bravi pour l’ensemble des artistes de cette saisissante production.
Prendi Bellini e Verdi, falli dirigere da #RiccardoMuti insieme alla sua Orchestra Cherubini, aggiungi interpreti di grande livello e un tesoro di teatro... al via questa sera la Trilogia d'Autunno nel segno del @MaestroMuti, si parte con Norma! Partner unico @eni pic.twitter.com/blAlsBeDJi
— Ravenna Festival (@ravennafestival) 16 décembre 2023