L’Heure et L’Enfant, drôles et touchants à l’Opéra Grand Avignon
La famille paternelle de Ravel, liée à l'horlogerie suisse, a indéniablement laissé sa marque dans la minutie du compositeur. Ses deux œuvres lyriques, L’Heure espagnole et L’Enfant et les Sortilèges, partagent cette fascination, aussi bien littéralement (avec la présence d'horloges) que dans la mécanique minutieuse, théâtrale et musicale.
C'est donc tout naturellement que l’horloge sert de fil rouge à cette double mise en scène de Jean-Louis Grinda. Les décors, conçus par Rudy Sabounghi comme les costumes (en partie réalisés dans les Ateliers maison), avec une grande porte vitrée et un escalier menant à la chambre, accueillent la dynamique vaudevillesque du premier opus (où les horloges servent de cachettes aux amants).
Les murs, décorés d'horloges à la manière d'une bande dessinée par Louis Lavedan et Julien Soulier, ajoutent une touche aquarellée (en écho implicite au Festival de la BD d'Avignon qui se déroule au même moment juste à côté en l’Hôtel de Ville).
Mais si la présence d'une horloge comtoise animée dans L'Enfant et les sortilèges offre un autre lien évident, cette fantaisie lyrique souvent interprétée de manière onirique, prend une tout autre direction, avec une teinte plus réaliste. C’est l'armée de domestiques de la mère de l'enfant, lassée de ranger après ses colères, qui cherche à lui donner une leçon.
Le décor devient une chambre démesurée et inquiétante. La grande tapisserie médiévale d’une scène de chasse laisse place à une sombre forêt ou, par un effet de lumière, à un grand miroir. Les scènes s'enchaînent avec fluidité, éclairées par Laurent Castaingt. Au fur et à mesure, certains domestiques se déguisent même, pour incarner les animaux, et tous finissent avec au moins un accessoire pour la scène finale, un carnaval qui dégénère en blessant l’Enfant (son retour à la discipline se faisant d'autant plus douloureux, et touchant).
Ces opus permettent fréquemment de révéler de jeunes talents lyriques (l'Opéra de Paris présente d'ailleurs en ce même moment en diptyque Ravélien le ballet Ma Mère l'Oye par les élèves de son École de danse, et l'opéra L'Enfant et les sortilèges par son Académie lyrique). La distribution avignonnaise réunit ici des voix plus-que prometteuses, avec des carrières déjà bien lancées. Anne-Catherine Gillet incarne Concepcion, ainsi que la Bergère et la Chouette, de son timbre sensuel et charnu porté par un ample vibrato. Son texte limpide sert avec délice des intentions indéniablement séductrices.
Brenda Poupard est un Enfant actif, parfaitement rebelle et touchant à la fois, avec une voix onctueuse que l'auditeur aimerait entendre encore davantage. Aline Martin est une Maman grande-bourgeoise des années folles, tendre au timbre rond.
La Tasse chinoise, la Libellule et le Pâtre sont interprétés par Albane Carrère, jouant habilement de sa palette de timbres pour partager ses intentions, caractéristiques de chacun de ses personnages tout en distillant sa voix chaude, présente avec une pointe de brillance.
Amélie Robins se fait brillante et lumineuse en Feu, Rossignol et Princesse, agile voire impérieuse. Ramya Roy est une Chatte et un Ecureuil au timbre rond et suave avec de belles intentions lyriques. Enfin, Héloïse Poulet est une Pastourelle et une Chauve-souris touchantes par la fraicheur du timbre.
Du côté des hommes, le ténor Carlos Natale prête son timbre léger ainsi que son accent argentin au charmant (et un rien ridicule) poète Gonzalve. Ses aigus restent aussi tendrement séduisants que son médium. Torquemada l'horloger prend les traits de Kaëlig Boché, comme la Théière, la Rainette et le Petit Vieillard. Le ténor se montre investi, vaillant même, et très clair dans sa diction. Le muletier Ramiro est interprété par Ivan Thirion, à l’aisance scénique constante pour ce rôle candide et pourtant non moins séduisant pour Concepcion, femme volage de ce pauvre Torquemada. Chantant également l’Horloge comtoise et le Chat, jouant d’ombres chinoises pour évoquer le félin, le baryton déploie sa voix chaleureuse et noble avec un timbre plein, parfois un rien trop prononcé quoique son fort vibrato contribue aussi à sa présence et fierté vocale. Jean-Vincent Blot ne manque pas non plus de noblesse et de largesse de timbre pour incarner le banquier Don Inigo Gomez, présent même dans ses intentions piano. Il montre ces mêmes qualités tout à fait à propos en Fauteuil et en Arbre.
Dans les chorégraphies d’Eugénie Andrin, trois membres du Ballet de l’Opéra Grand Avignon ajoutent au dynamisme et au comique de certaines scènes, rejoints avec la force de la jeunesse par cinq talentueuses élèves du pôle danse du Conservatoire d'Avignon. La jeunesse est également bien présente avec la Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon, parfaitement investie, tout comme le Chœur de l’Opéra Grand Avignon, dont la transparence du son d’ensemble permet d'apprécier les harmonies subtiles de Ravel. Cet aspect limpide et cette minutie de l’harmonie est également le propre de l’Orchestre National Avignon-Provence, sous la direction équilibrée de Robert Tuohy. Les couleurs ne sont pas accentuées, dans les contrastes voire les extrêmes : elles se font le fruit d’un travail là encore de précision. L'écoute est peut-être moins enchanteresse mais autrement savoureuse.
Le public avignonnais applaudit avec reconnaissance ce minutieux parcours, éclatant, humain et touchant.