Requiem de Verdi empli de vie à Liège
Ce concert aura connu bien des vicissitudes, avec l’annulation du chef initialement prévu, puis celle de trois des quatre solistes annoncés… Mais le maestro maison, Giampaolo Bisanti a eu à cœur de mener cette entreprise à bien, en la dirigeant lui-même. La scène de l’Opéra est encadrée par deux murs colossaux : ceux du décor des Contes d’Hoffmann dont la maison présente jusqu’au 2 décembre la mise en scène de Stefano Poda (notre compte-rendu). Ces étagères blanches à casiers abritant des objets blancs, cimetières d’une vie passée, forment un décor rendant ce concert de Verdi d’autant plus vivant par contraste.
L’œuvre monumentale, opératique, déploie pleinement son énergique vitalité, de l’impalpable flottement des cordes jusqu’aux déchaînements d’un déluge de voix et de sons ! L’Orchestre est solidement tenu, tout va de l’avant, articulant les moments intimistes et ceux plus flamboyants. Le chef Giampaolo Bisanti sait tirer -avec force nuances- les sons justes et efficaces à la tenue du propos, donnant toute l'assurance requise à chaque pupitre et à ce grand paquebot musical.
Les instruments déploient ainsi une sonorité unifiée et de belle ampleur, avec une grande réactivité et précision en contribuant pleinement au soutien du lyrisme, qu'il introduit et encourage dans son déploiement.
Le grand Chœur (réunissant les forces locales et celles de Namur) offre une prestation plus contrastée. Les pupitres aux deux extrémités (basses et soprani) manquent un peu de volumes et de dynamiques, ce qui n’aide pas le son à former un tout notamment dans les passages les plus attendus et dramatiques. Cela étant, le Dies Irae dont il s’agit, comme le reste de la partition, bénéficie de l’exactitude nécessaire et même davantage (expliquant aussi que le chœur ne bascule pas dans les déluges de sons et d’intentions mais qui auraient été nécessaires pour passer l’intensité d’un tel jeu orchestral). Le chœur ne cesse néanmoins de gagner en qualités, notamment dans l’intensité des sons recueillis du Sanctus, et le Libera me final emporte même le troisième Dies Irae et l’auditoire avec.
Le ténor Arturo Chacón-Cruz possède une voix lyrique, assez projetée, claire et vibrante. Il sait rendre poignante sa conviction, variant les couleurs et dynamiques avec une largeur bien mesurée au service d’une présence constante.
Participant comme lui aux Contes d'Hoffmann maison, Erwin Schrott est aisé dans les graves, d’une grande tenue vocale, déployée avec noblesse, aisance, y compris dans les demi-teintes et une autorité manifeste pour les moments d’intensité dramatique. Les graves sont de bronze et soutiennent pleinement le quatuor.
Anna Maria Chiuri (Princesse dans Adrienne Lecouvreur in loco en avril) offre un mezzo-soprano assez sonore, avec un timbre aux reflets métalliques, mais une manière de chanter les sons intimistes en pianissimo avec la mâchoire serrée, qui en limitent la richesse et l’intensité, avec le déploiement (comme avec la voix de la soprano, plus spatiale). Elle sait cependant gérer avec raffinement ses registres, y compris en voix mixte et poitrinée, mais (enjeu certes particulièrement complexe pour ce registre) elle se trouve souvent couverte quoiqu'elle tienne son propos interprétatif et suive sa ligne avec efficacité.
Marigona Qerkezi déploie l'ampleur et l'amplitude de sa voix de soprano lyrique, se projetant immédiatement et pleinement dans l'espace acoustique avec une liberté totale dans l’aigu flamboyant, le reste de la tessiture n'étant pas moins riche et sonore. Elle peut passer à l'envi des nuances les plus concentrées aux montées dynamiques les plus impressionnantes et vibrantes. D'autant que cette maîtrise sert constamment le soin porté envers le phrasé. Sa vitalité, de surcroît, est toujours soucieuse de l'alliage avec ses partenaires et elle se place ainsi naturellement en soliste galvanisant le choeur avec intensité.
Une ovation longue et appuyée salue ce Requiem, empli de vie et d’énergie.